Cinéma : « A Balkan Noir », clopes, vengeance et Monténégro

Affiche du film

Courrier des Balkans – 23.02.2018 – Article

Voilà cinq ans que Nina a perdu sa fille. Cette disparition, la jeune femme est bien décidée à la venger. Le réalisateur originaire de Bosnie-Herzégovine, Dražen Kuljanin, livre son deuxième long-métrage, haletant, entre la Suède et le Monténégro. Un thriller au féminin, sombre et enfumé. Entretien.

Le Courrier des Balkans (CdB) : C’est lors de vacances passées au Monténégro que Nina et son mari ont perdu leur fille. Pourquoi avoir choisi ce pays balkanique pour votre film ?

Dražen Kuljanin (D.K.) : J’ai passé de nombreux étés au Monténégro ces dix dernières années, il était temps pour moi de saisir ces inspirations balkaniques. C’était également intéressant financièrement de tourner dans ce petit endroit où nous avons une maison pour héberger toute l’équipe. En même temps, j’ai essayé de me tenir éloigné des sites touristiques et de l’incroyable nature pour me concentrer sur la vie quotidienne.

CdB : La vengeance de Nina est racontée dans une ambiance très enfumée. Vous utilisez notamment des publicités américaines des années 1950 pour les cigarettes. Pourquoi ce choix ? Les 20 cigarettes qui nous racontent l’histoire ont-elles quelque chose à voir avec les rapports sulfureux qu’a entretenus le Monténégro avec le trafic des années 1990 ?

D.K. : Je suis né dans les Balkans, j’ai déménagé en Suède quand j’étais ado. Chaque fois que je reviens dans la région, je m’étonne du nombre de personnes qui fument. Je pense qu’il y a des raisons à cela : les gens ont plus de soucis et le style de vie est différent, il y a plus d’anxiété. Ces publicités pour les cigarettes font écho à une sorte d’innocence, surréaliste et rêveuse. Elles provoquent la nostalgie de quelque chose qui a disparu il y a longtemps, à l’instar de la fille de Nina. Dans l’esprit de l’époque, ces réclames étaient d’ailleurs tout à fait normales… Alors qu’aujourd’hui, certaines choses qui vont de soi au Monténégro choquent les Scandinaves et inversement.

CdB : Cherchant coûte que coûte à se faire vengeance du « monstre » (incarné par l’acteur serbe Sergej Trifunović), Nina évolue dans un univers très masculin qu’elle met à mal. Cette vengeance féminine prend-elle une dimension particulière dans les Balkans, une région souvent qualifiée de patriarcale voire de machiste ?

D.K. : L’idée était de prendre une Suédoise et de la « déposer » au milieu des Balkans, de la faire passer brusquement d’un endroit parfaitement ordonné à un autre où rien ne fonctionne. Il est intéressant d’explorer des personnages hors de leur environnement naturel et de saisir ce contraste. Ainsi, une femme qui n’agit pas comme prévu dans une société très patriarcale. Nina, totalement dévouée à sa vengeance et dévastée par la perte de sa fille, est intimidée par ces hommes et ces derniers ne savent pas comment se comporter avec elle. Mais le film parle avant tout de l’histoire de quelqu’un passé par de longues années de désespoir.

CdB : A Balkan Noir est rythmé par l’utilisation répétée de reprises yougoslaves de tubes anglo-saxons. Quel rapport entretenez-vous avec ces chansons ?

D.K. : Toutes les musiques du films sont des reprises. Ce sont des chansons qui jouent avec nos souvenirs. Elles nous sont très familières, mais avec quelque chose de différent. Comme avec les publicités pour les cigarettes, leur écoute suscite un sentiment presque surréaliste. Comme le dit un personnage : « Vous pouvez vraiment écouter les paroles et accéder au véritable sens de ces chansons ». Elles nous font désirer des choses que l’on a perdues, comme Nina avec sa fille. C’est également mon cas avec mon départ pour la Suède. Même si le spectateur ne connaît pas les paroles en serbo-croate, son cerveau, lui, connaît ces chansons.

CdB : Dans votre film, vous alternez les scènes particulièrement violentes et un humour absurde, et même délirant. Les Balkans se prêtent-ils particulièrement à l’humour noir ?

D.K. : J’ai appris à manier l’humour dans les moments pénibles. Les gens l’utilisent de façon très commune dans des situations difficiles comme les périodes de guerre ou d’autres moments particulièrement durs. Cela permet de survivre plus facilement, c’est ce que font les protagonistes du film. Je crois que l’humour balkanique est vraiment unique. Il s’agit d’un humour très sombre, étrange. D’ailleurs, je remarque qu’il est beaucoup utilisé dans le cinéma d’ici.

CdB : Quels rapports personnels entretenez-vous avec les Balkans ? Est-ce une région qui vous inspire toujours dans votre travail artistique ?

D.K. : Je suis né en Bosnie en 1980 et j’ai fui en Suède pendant la guerre civile, donc quelque chose de la région sera toujours présent en moi. Avec ce film, je n’ai pas essayé de faire du cinéma complètement balkanique mais plutôt d’arriver à une sorte de fusion. J’ai fait de mon mieux afin d’éviter les clichés, mais le film se passe tout de même au Monténégro – Le Far West des Balkans, comme j’aime à le surnommer – et certaines choses seront toujours là, comme les machos qui fument. Pour parler du cinéma balkanique, j’aimerais voir plus d’histoire modernes, pas seulement des scénarios traitant de la guerre ou orienté humour noir. Comme les films récents CLIP ou Tilva Roš, qui parlent des jeunes d’aujourd’hui, de ceux de la génération d’après la guerre, prennent plus de place.

L’entretien original ici (abonnés).

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