Albanie : Gérard Collomb vient dire non aux candidats à l’asile en France

Gérard Collomb et Edi Rama à Tirana @ LS
Gérard Collomb et Edi Rama à Tirana @ LS

Courrier des Balkans – 15.12.2017 – Article

Le ministre français de l’Intérieur est à Tirana jusqu’à ce soir pour une visite diplomatique attendue de longue date. Gérard Collomb veut dissuader les Albanais de demander l’asile en France. Depuis 2016, ils sont les plus nombreux à le faire alors même que leurs dossiers sont presque systématiquement refusés. Mais la répression, la seule réponse prônée par Paris, peut-elle suffire ?

« Il faut m’expliquer quel avenir il y a pour moi si je reste ici ? Je ne connais personne dans la politique et ma famille est très pauvre. À part travailler avec la mafia, je n’ai aucune chance d’avoir un boulot ici. » Comme tous les jours, Saimir fait son xhiro, son tour, sur l’allée piétonne de Bajram Curri, une ville des montagnes du Nord de l’Albanie. À tout juste 17 ans, il compte partir bientôt demander l’asile en Europe, lui aussi. « Ici, presque chaque famille a quelqu’un qui est parti ces derniers mois. »

La région de Tropojë est l’une des plus pauvres d’Albanie. Près de 80% des moins de 25 ans sont sans emploi et, d’après les tests PISA, le niveau d’éducation y est parmi les plus bas d’Europe. Une situation qui alimente les sentiments d’abandon et de désespoir alors que les services publics ne cessent de se dégrader. Saimir montre des photos de documents sur son téléphone. « Ils prouvent que je suis victime de représailles. Avec ça, normalement je peux obtenir l’asile dans l’Union européenne (UE) », veut-il croire.

27 500 demandes d’asile déposées en 2017

Loreta passe la serpillière dans l’un des immeubles flambants neufs de la capitale Tirana. Malgré son sourire, elle a du mal à cacher son inquiétude. Il y a quelques mois, sa fille a décidé de partir demander l’asile en France. « Elle ne supportait plus les violences de son mari. Elle a obtenu le divorce, mais elle avait toujours peur qu’il ne vienne chez elle. Ici, l’État ne fait rien contre ça ! » Depuis son départ, Loreta guette chaque jour des nouvelles rassurantes en provenance de Lyon et dit craindre les réseaux criminels. Dans l’appartement du dessus, « c’est toute la famille qui est partie en Allemagne. Pourtant, eux ils sont propriétaires et les deux parents avaient du travail ».

Selon les derniers chiffres d’Eurostat, les Albanais ont déposé plus de 27 500 demandes d’asile auprès de pays de l’UE en 2017. Comme l’an passé, ils sont à nouveau les premiers demandeurs d’asile en France, devant les ressortissants de pays en guerre, comme les Syriens, les Afghans ou les Soudanais. En juillet, le ministre de l’Intérieur français, Gérard Collomb, a tapé du poing sur la table afin d’obtenir plus de coopération de la part des autorités albanaises dans la lutte contre l’émigration irrégulière. Depuis, la police des frontières albanaise affirme avoir refoulé plus de 9000 personnes. Des parents ont également été condamnés à des peines de prison ferme pour avoir « incité leurs enfants à partir ».

“S’il n’y a pas de problème, pourquoi tout le monde veut partir ?!”

Dans le centre de Tirana, des jeunes hommes discutent à la terrasse d’un café. Certains sont au chômage, d’autres travaillent comme serveurs, payés 180 euros par mois pour plus de 60h hebdomadaires. Tous connaissent quelqu’un qui est « parti pour demander l’asile ». « Le gouvernement dit qu’il n’y a pas de problème d’émigration. Mais, s’il n’y a pas de problème, pourquoi tout le monde veut partir ? », ironise Ergys. Comme lui, ils sont plusieurs à avoir cru au changement avec l’arrivée d’Edi Rama au pouvoir en 2013. Depuis, ils ne font que déchanter. « Les politiques sont toujours aussi corrompus. Ils se fichent totalement de nous. »

L’un des ses voisins de table reconnaît qu’il a voulu prendre un vol pour l’Allemagne cet été, mais qu’il en a été empêché par la police à l’aéroport de Rinas. Contrairement à beaucoup d’Albanais, Ergys et ses amis savent qu’il est désormais très difficile d’obtenir l’asile dans les États membres de l’UE, que tous associent à un sésame précieux pour une vie meilleure. Sur les 8020 demandes déposées cette année auprès de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra), à peine 200 ont été validées. Un taux d’acceptation de 6% alors qu’il était encore de 16% en 2016. Mais le ministre de l’Intérieur veut encore le voir baisser. En Allemagne, moins de 1% des Albanais obtiennent le droit d’asile.

La fin du rêve européen ?

Depuis sa prise de fonctions, Gérard Collomb l’a d’ailleurs martelé : l’Albanie, comme ses voisins balkaniques est un « pays sûr ». Les Albanais sont donc des « migrants économiques » et pas des « réfugiés », la France n’a donc pas à les accueillir sur son sol, sauf cas exceptionnel. La place Beauvau prône désormais l’accélération du traitement des demandes albanaises, « infondées », selon les termes du ministère. Une politique de fermeté qui s’inscrit dans le projet « de refondation de la politique d’asile » voulue par Emmanuel Macron et annoncée pour le printemps 2018. Faisant peu de cas des persécutions individuelles qui se cachent parmi ces personnes, les expulsions d’Albanais déboutés du droit d’asile se multiplient. Une circulaire adressée aux préfectures a également donné lieu à la multiplication des interdictions de séjours. Or, cette mesure est contraire à la liberté de circulation puisqu’elle empêche les personnes visées d’accéder à l’espace Schengen pour une période de deux à trois ans.

Lorsqu’il était maire de Lyon, Gérard Collomb, s’attirait régulièrement les critiques des associations d’aide aux migrants. Elles dénonçaient notamment des pratiques policières brutales et les conditions de vie inhumaines. Depuis qu’il est ministre de l’Intérieur, ces accusations viennent de tout l’Hexagone. Selon plusieurs acteurs associatifs, les méthodes employées par les autorités françaises ne respecteraient pas les droits des demandeurs d’asile. Une politique répressive qu’ont du mal à comprendre des jeunes comme Ergys. « À l’école, on m’a appris que la France, c’était le pays des Droits de l’Homme. Mais mon cousin, qui est vers Lyon, il me dit que la police est très dure avec les Albanais ! On sera bientôt dans l’UE, pourquoi nous fermer la porte ? »

Cette politique de fermeté des autorités françaises contredit en outre les recommandations de la Convention de Genève, dont l’article 3 stipule qu’elle s’applique « aux réfugiés, sans discrimination quant à la race, la religion ou le pays d’origine ». La position de Paris n’est pourtant pas près de s’infléchir. Comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, la France a régulièrement menacé de faire pression au niveau européen pour un rétablissement des visas Schengen pour les pays des Balkans occidentaux. Aujourd’hui, les dirigeants albanais craignent la visite de Gérard Collomb parce qu’ils redoutent que la question migratoire ne devienne un frein au processus d’adhésion à l’Union européenne. Surtout que l’intégration reste le dernier motif d’espoir que la classe politique peut encore faire miroiter à des Albanais désabusés par un quart de siècle de transition inachevée.

Le reportage original ici (abonnés).

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