Violences conjugales en Albanie : « le mariage n’est pas une peine de mort »

Courrier des Balkans – 22.09.2017 – Article

Fin août, Fildeze Hafizi, une juge de Shkodër, était assassinée par son ancien mari. Un meurtre qui a choqué l’opinion d’autant que la magistrate, se sentant menacée, avait demandé la protection de la police. Entre tabous et patriarcat, ce meurtre vient rappeler, une fois encore, l’insupportable persistance des violences faites aux femmes en Albanie

« Le droit à la vie n’est pas un luxe », « Pas d’amnistie pour les violences familiales », « Le mariage n’est pas une peine de mort ». Devant les portes du ministère de la Justice, des dizaines de manifestants brandissent leurs pancartes avec détermination et se font entendre. Sur leurs visages, majoritairement jeunes et féminins, se lit la colère plus que la tristesse. Des bombes de peinture rouge explosent sur la façade grise de l’institution. Rouge, comme le sang de Fildeze Hafizi, cette femme de 39 ans, assassinée fin août par son ancien mari.

Ces militant.e.s proches des associations LGBT ne sont pas les seul.e.s à avoir été choqué.e.s par le destin tragique de cette juge de Shkodër, un fait divers qui a remué l’opinion publique albanaise ces dernières semaines. Malgré ses tentatives répétées pour obtenir une protection policière, la magistrate a été abattue de deux balles dans la tête. Déjà condamné pour des faits de violence familiale, son ancien mari avait été libéré grâce à une amnistie gouvernementale. Les réactions indignées se sont multipliées contre ce meurtre, qui illustre de façon désolante la persistance des violences familiales en Albanie.

L’impossible évolution du patriarcat ?

Les crimes domestiques font régulièrement la une de la presse et des journaux télévisés. En 2016, la police faisait ainsi état de 17 femmes tuées par leurs maris soit 22,5 % du total des meurtres recensés dans le pays. Et la situation est loin de s’améliorer. Au seul tribunal de Tirana, les demandes de l’Ordre de la Défense des femmes occupent le plus grand nombre de cas enregistrés. Durant les sept premiers mois de 2017, 453 plaintes pour violences conjugales ont été déposées, plus qu’en 2016.

Une aggravation inquiétante que confirment les autorités judiciaires. Dans son dernier rapport annuel, le Procureur général note ainsi « une tendance croissante à l’infraction de violence domestique ». « Près de 75% des meurtres dans notre pays sont commis pour trois raisons : les motifs familiaux, les problèmes de propriété et les motifs mineurs », souligne l’ancien ministre de l’Intérieur, Saimir Tahiri. Sans grande surprise, selon ce même rapport, 90% des auteurs des violences familiales sont des hommes.

Le problème est pourtant loin d’être nouveau et des mesures ont d’ailleurs été prises ces dernières années. Les crimes conjugaux sont désormais considérés comme des « crimes graves » par la législation albanaise et les normes juridiques qui les encadrent sont exigeantes. Mais elles semblent avoir peu d’effet. Dans les faits, il apparaît bien difficile d’éloigner les conjoints violents ou de mettre en œuvre les procédures de surveillance. Pour certains analystes, l’inefficacité de ces mesures s’explique par leur aspect essentiellement répressif : elles ne prennent pas assez en compte les facteurs culturels et sociaux de ces violences.

Les pressions internationales

Malgré les changement sociaux, les mentalités patriarcales continuent de se maintenir. Pour beaucoup, une femme nouvellement mariée reste considérée comme la propriété de son mari et face au tabou du divorce, la loi du silence a encore la vie dure. Pourtant, en Albanie aussi les séparations sont en hausse. Toujours selon l’ancien ministre, Saimir Tahiri, sur les 3700 cas de violence familiale signalés à la police, une bonne partie de ces crimes restent tus. « Je pense que nous sommes encore dans la phase de découverte de la dimension réelle de ce problème dans notre société. Il existe de nombreux cas de violence domestique qui ne sont pas encore dénoncés. »

Le nouveau Président, Ilir Meta, a récemment annoncé quatre mesures pour prévenir la violence au sein de la famille estimant qu’il était « temps d’améliorer la collaboration et l’action de toutes les institutions dans le but d’une punition exemplaire de la violence au sein du cercle familial ». Ces mesures se focalisent contre les remises de peine et d’amnistie, très critiquées après l’assassinat de Fildeze Hafizi, mais elles laissent sceptiques bien des observateurs.

Le manque de volonté des autorités albanaises est sous le feu des critiques, notamment internationales, depuis longtemps. Dans leurs derniers rapports, la Commission européenne et les Nations unies s’inquiètent par exemple du peu d’action de Tirana. La plupart des projets sont dans leur grande majorité financés par des ONG ou des institutions étrangères. L’Onu note également le manque d’informations sur « la mise en œuvre globale » de ces projets. Des inquiétudes partagées par les acteurs locaux et renforcées par le récent démantèlement du ministère de la Protection sociale et de la Jeunesse. Le doute plane sur le futur des cinq plans d’action qu’il avait lancés avec le soutien de l’Union Européenne.

Réagissant à ce terrible fait divers le Premier ministre, Edi Rama, a appelé à respecter au plus vite les principes de l’État de droit pour parvenir à « une justice que nous voulons ». Reste à savoir si la promesse de transformation de cette institution, la plus décriée par les Albanais selon l’Institut pour la démocratie et la médiation (IDM), saura enfin établir la confiance avec ses citoyens.

L’article original ici (abonnés).

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