Albanie : l’opposition continue le combat contre Edi Rama sous un chapiteau

Le châpiteau de l'opposition sous les fenêtres du Premier ministre à Tirana @ LS
Le châpiteau de l’opposition sous les fenêtres du Premier ministre à Tirana @ LS

Courrier des Balkans – 23.02.2017 – Article

Après le succès de sa grande manifestation du 18 février, le Parti démocratique fait tout pour maintenir la pression sur le gouvernement social-démocrate. Dans le chapiteau monté à la hâte devant les fenêtres d’Edi Rama, une agora « populaire » d’opposants se rassemble pour dénoncer les dérives de l’Albanie et préparer le terrain en vue des législatives de juin. Reportage.

Galvanisés par leur démonstration de force de samedi 18 février, les opposants au gouvernement d’Edi Rama entendent maintenant maintenir la pression en vue des élections législatives de juin prochain. Installé sur le boulevard des martyrs de la nation, l’artère principale de Tirana, le chapiteau monté dès la fin de la manifestation est devenu un lieu de débats où sont invités à se rencontrer tous les mécontents de la sociale-démocratie au pouvoir depuis 2013. Du matin au soir, ils sont plusieurs centaines à prendre le micro afin d’exprimer leur colère et leurs espoirs, juste sous les fenêtres d’Edi Rama. Les organisateurs prennent soin de cacher tout logo, affiche ou drapeau partisan, pour se présenter comme les tenants d’un mouvement populaire avant tout.

En 2010, les députés du Parti socialiste (PS) avaient fini par opter pour la grève de la faim afin de dénoncer les fraudes électorales qui avaient, selon eux, entachées les élections du printemps 2009, remportées d’une courte tête par le Parti démocratique (PD). À quatre mois des prochaines législatives, le PD fait aujourd’hui le pari d’une autre stratégie médiatique avec comme objectif la mise en place d’un « gouvernement technique ».

Assis sur les bancs de cette « assemblée populaire » très masculine, jeunes et moins jeunes, citoyens modestes et vieux loups du Parti démocratique se côtoient. Les députés de l’opposition ont en effet décidé de reprendre à leur compte les méthodes employées par le PS (qu’ils avaient pourtant vivement dénoncées) : ils boycottent le Parlement et « préfèrent mener la lutte sous le chapiteau ». Pour Taulant, 72 ans, « c’est tout simplement la continuité du combat démocratique ». Chez les plus âgés, on affiche sa fidélité à la formation de droite, en faisant le parallèle avec « la révolution démocratique » du début des années 1990. Pour la première fois depuis l’indépendance, ce n’est plus Sali Berisha qui est à la manœuvre, mais son successeur, Lulzim Basha.

« Dégager ce gouvernement corrompu »

« Rappelons-nous les bateaux surchargés d’Albanais qui partaient à destination de l’Italie », s’exclame Adil Kraja, le directeur de la fondation du Parti démocratique (PD). « Ils fuyaient la pauvreté, le manque d’espoir, la dictature ! Aujourd’hui, regardons les chiffres de nos demandeurs d’asile : 100 000 en Allemagne et en France, ils sont les premiers ! La natalité, elle, a chuté de 30% en un an ! » Le manque de perspectives, voilà ce qui pousse Petrit, la petite quarantaine, à venir sous le chapiteau. « J’ai trois filles et cela fait des mois que je ne trouve pas de travail », se désespère-t-il. Touchés par la misère et la pauvreté, beaucoup se retrouvent dans les slogans contre le gouvernement. « Pourquoi je suis là ? J’ai 31 ans, pas de travail, j’habite chez mes parents et je suis toujours à compter ce que je peux m’acheter », s’agace Ermal, qui arrive d’Elbasan. Le trentenaire espère bien que le mouvement arrivera « à dégager ce gouvernement corrompu ».

Assis tout près du grand écran qui retransmet les débats, Mark, 65 ans, fait le V de la victoire avec ses doigts, un signe qui est largement repris ces jours-ci. Il dit être venu spécialement des montagnes des Mirditë, dans le nord-est du pays, l’une des régions les plus pauvres d’Albanie. « Ma retraite augmente de 3% par an alors que les taxes ont bondi de 30% ! Comment voulez-vous que je m’en sorte ? Plus qu’un parti, c’est la justice qui doit gagner ! » Malgré la volonté affichée des personnes présentes sous le chapiteau, le mouvement ne ressemble pas tout à fait à une mobilisation citoyenne spontanée. « Ce mouvement n’aura pas beaucoup d’effet, sa politisation est trop marquée », assure-d’ailleurs Joyce, une jeune étudiante en journalisme à Tirana.

Ni confiance dans le PS ni confiance dans le PD

Un groupe des jeunesses du PD tente de remotiver les troupes en scandant « Rama dégage ! », mais cela n’a pas l’air de vraiment intéresser Arlind. Le jeune homme de 23 ans préfère plaisanter avec ses amis et écoute les interventions d’une oreille distraite. Comme lui, ils sont nombreux à venir « simplement entendre ce qui se dit, voir ce qu’il se passe » car ils n’ont « rien d’autre à faire ». Il faut dire que la plupart des jeunes, les plus touchés par le marasme socio-économique, ne font pas plus confiance au PD qu’à la coalition sociale-démocrate au pouvoir. Pour Reton, 28 ans, « il faut surtout protester contre ce gouvernement qui gouverne et contrôle les médias grâce à l’argent de la drogue ». Face aux récentes attaques sur la liberté de la presse, beaucoup « ne veulent plus s’informer par la propagande ». Bien conscients de l’enjeu de cette bataille médiatique, les débats du mouvement sont retransmis en direct sur internet.

Acclamés par ses partisans, Lulzim Basha est la vraie star du chapiteau. L’énergique chef du PD se délecte du bain de foule et se prête volontiers aux « échanges démocratiques de l’assemblée populaire ». Saluant « la plus grande manifestation depuis 26 ans », il critique l’Albanie d’Edi Rama, « transformée en un foyer de crimes, de drogues et pauvreté, où, à cause des pressions du gouvernement, justice, Parlement et médias ne fonctionnent pas ».

L’argent du cannabis fait peur

Tandis qu’une demi-tonne de cannabis en provenance d’Albanie était saisie mardi sur la côte italienne, Lulzim Basha s’inquiète : « Les groupes criminels spécialisés dans le trafic de drogues sont devenus plus puissants que l’armée et la police albanaises réunies ». Avant de lancer : « Que vont-ils faire avec l’argent de la drogue ? Ils vont corrompre plus de juges, de procureurs, de policiers et vont soutenir les politiciens qui leur garantiront le statu quo ». Pour lui, la seule solution, c’est « la formation d’un gouvernement technique ». Il se dit aussi « prêt à mener au côté du peuple albanais, une bataille électorale qui ne peut être garantie que par des élections libres et transparentes ».

Le seul constat qui paraît faire consensus dans la société albanaise, c’est le rôle de premier plan que l’argent du cannabis va jouer lors des législatives de juin. Les élus du PD rappellent volontiers les irrégularités relevées par l’OSCE lors des derniers scrutins – que leur parti a pourtant parfois remportés – et redoutent de « nouvelles fraudes massives ».

À son arrivée à Tirana pour une visite de trois jours, le rapporteur du Parlement européen pour l’Albanie, Knut Fleckenstein, a annoncé vouloir s’entretenir avec le chef de l’opposition. Mais « pas pour négocier ». L’élu du SPD allemand a en outre rappelé que le travail des députés devait « se faire dans l’enceinte du Parlement ». De son côté, le gouvernement d’Edi Rama relativise la portée de la mobilisation de l’opposition et se montre très confiant. Pour certains analystes, l’improbable gouvernement technique réclamé par le PD ne serait d’ailleurs qu’un aveu de faiblesse de sa part, comme si l’opposition anticipait déjà sa défaite à venir lors des élections législatives de juin.

Le reportage original ici (abonnés).

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