Albanie : l’irrésistible appel des call-centers

Annonces pour des cours de langue adaptés au centres d'appels @ LS
Annonces pour des cours de langue adaptés au centres d’appels @ LS

Courrier des Balkans – 05.10.2016 – Article

Une jeunesse polyglotte et volontaire, des salaires très faibles, un code du travail avantageux : si le paradis des call-center existe, c’est peut-être en Albanie qu’il se trouve. Depuis quelques années, tous les géants du secteur se sont installés au « pays des Aigles ». Pour des salaires à un euro de l’heure, et le plus grand bonheur du gouvernement.

Palais des congrès, Tirana. En ce vendredi après-midi, la foule ne se presse pas autour des différents stands d’information. Le « salon des études et du travail » devrait pourtant attirer du monde, dans un pays qui compte un taux de chômage proche de 30% chez les jeunes. Mais, comme le confie Mario, un étudiant venu de Shkodra, la grande ville du nord du pays, « ici, tout le monde connaît les call-center, rien de nouveau. » À côté des banques, des assurances et d’une dizaine d’universités privées, il n’y a effectivement que les représentants des centres d’appels qui semblent proposer des emplois.

Depuis 2005, les centres d’appels n’ont cessé de se multiplier en Albanie et ils seraient aujourd’hui les premiers employeurs du pays. Selon de récentes estimations, 300 entreprises différentes emploieraient près de 20 000 personnes dans le secteur. Et la langue de ces travailleurs n’est bien sûr pas l’albanais.

« Petits, nous avions les yeux rivés sur les programmes de la Rai ou de Mediaset », explique Mario. « Toute une génération a grandi avec l’italien. » De fait, une bonne partie des Albanais âgés de 20 à 35 ans parle très bien cette langue. Les grandes entreprises italiennes et notamment les opérateurs mobiles ont donc rapidement compris l’intérêt qu’elles pouvaient tirer de la situation. Vodafone, Sky Italia ou Wind ont toutes externalisé leurs activités de services à la clientèle sur le sol albanais. Un rapide entretien permettant de vérifier le niveau de langue des candidats fait généralement office de sélection.

Pourtant, les raisons de cette migration des call-center italiens ne sont pas uniquement linguistiques. La faiblesse des rémunérations, une faible pression fiscale et un code du travail plus qu’avantageux font de l’Albanie une véritable poule aux oeufs d’or pour les géants du secteur, comme l’italien Intercom Data Service ou la multinationale française Teleperformance. En Albanie, un salaire d’opérateur ne coûte que 200 à 350 euros par mois, trois fois moins qu’en Italie.

Un euro de l’heure

Dans les pays occidentaux, être téléopérateur est souvent synonyme de précarité. Mais en Albanie, dans un pays où obtenir un travail est souvent un parcours du combattant, les centres d’appels permettent à beaucoup de jeunes d’obtenir une certaine indépendance.

Murat, 21 ans, qui habite à Durrës, voit ce travail avant tout comme une possibilité de mettre de l’argent de côté pour financer ses études. Grâce à sa parfaite maîtrise de l’italien et de l’anglais, Murat est un élément recherché par les employeurs. Il est payé un peu plus de deux euros de l’heure. Des entreprises comme Vodafone n’hésitent ainsi pas à mettre en place des navettes quotidiennes pour permettre aux perles rares comme Murat de travailler dans la capitale.

Des call-center existent bien à Durrês ou à Vlorë, mais ceux qui rémunèrent le mieux se trouvent à Tirana. À Shkodra, Marita, 35 ans et mère de trois enfants, est payée à peine plus d’un euro de l’heure. La jeune femme se dit pourtant satisfaite de sa situation et de son travail, les appels commerciaux vers l’étranger (outbound). « Nous sommes tous jeunes, l’ambiance est conviviale et les conditions sont plutôt bonnes », explique-t-elle. Marita apprécie surtout d’avoir du temps pour sa famille, grâce à ses horaires de travail flexibles.

Mario, quant à lui, ne retravaillerait pour rien au monde en outbound. « La pression et les relations avec les clients y sont bien plus dures », raconte-t-il. « Un de mes amis s’est fait licencier de cinq call-center différents parce qu’il n’arrivait pas à atteindre les objectifs de vente. »

“On n’est pas des esclaves, quand même ils nous payent”

Si tous reconnaissent le peu d’intérêt du métier, la réalité du marché en Albanie n’offre pas beaucoup de choix aux jeunes. Un serveur gagne difficilement 150 euros par mois pour dix heures de travail quotidien. Après avoir obtenu un diplôme d’économie en Italie, Fatber n’est donc pas si mécontent de travailler dans un centre d’appels : « si je travaillais comme comptable, je gagnerais beaucoup moins et je ne pourrais pas m’organiser. Aujourd’hui, je gagne autour de 350 euros par mois et le travail me va. »

Pas évident pourtant de tenir le coup tant les conditions de travail sont difficiles : les objectifs à atteindre sont compliqués, il faut appeler en continu et faire face aux clients agressifs et injurieux, supporter l’encadrement des pauses, la promiscuité des espaces de travail, le bruit constant, etc. Un système de prime et un fort contrôle de la hiérarchie participent aussi à l’individualisation de l’activité. Dans d’autres pays du monde, de nombreux rapports ont souligné les menaces sur la santé que faisait peser cette activité sur les salariés. Mais en Albanie, les plaintes restent pour le moment discrètes. « On n’est pas des esclaves, quand même ils nous payent », explique Mario avec ironie.

Le « dynamisme » de l’économie albanaise

L’installation des call-center n’est pas prête de s’arrêter en Albanie. Les entreprises cherchent désormais à recruter des locuteurs de nouvelles langues, pour élargir leurs marchés. À côté de l’italien, de l’anglais et du grec, le français, le turc ou l’allemand gagnent du terrain. Illustration de l’importance prise par le secteur, de nombreuses écoles ont vu le jour ces derniers temps : elles proposent des cours de langues spécialement destinés au travail en centres d’appels.

Si les entreprises étrangères semblent être les grandes gagnantes de cette évolution, les autorités y trouvent aussi leur compte. Les centres d’appels réduisent le chômage des jeunes et illustrent aux yeux du gouvernement le « dynamisme » de l’économie albanaise. Reste à savoir jusqu’à quand la jeunesse albanaise se satisfera de cette perspective d’emploi, réelle mais limitée.

Le reportage original ici (abonnés).

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