L’Albanie, déchetterie de l’Europe : comment Edi Rama a mis ses promesses à la poubelle

Après l'été, les déchets sont ensevelis sous le sable derrière la plage, Velipojë @ LS
Après l’été, les déchets sont ensevelis sous le sable derrière la plage, Velipojë @ LS

Courrier des Balkans – 29.09.2016 – Article

Malgré ses belles promesses, le gouvernement d’Edi Rama a ouvert les frontières de l’Albanie à l’importation des déchets étrangers, un business dangereux, en bonne part tenu par les organisations mafieuses. Samedi 1er octobre, une grande manifestation est prévue à Tirana.

Il est 17h 30, ce lundi 19 septembre à Tirana. Des groupes clairsemés se rassemblent et s’assoient au pied de l’emblématique Pyramide, ultime symbole du régime communiste dans le centre de la ville. Lavdosh Ferruni, militant écologiste très actif, prend le mégaphone et lance le début d’une nouvelle mobilisation. Autour de lui, la dizaine de caméras ne reste que le temps de l’ouverture de la discussion. Mais l’objectif est atteint : alerter l’opinion sur le retour au Parlement de la malodorante question des déchets importés.

En Albanie, l’œil est souvent agressé par les déchets jonchant certaines rues, plages ou cours d’eau. La collecte et le tri sont loin d’être les priorités des autorités et la défaillance du système de recyclage est criante. Le pays arriverait à peine à traiter 20% de ses propres ordures, et les décharges à ciel ouvert, où de jeunes paysans du Nord disputent la place aux Rroms pour attraper quelques morceaux de cuivre bons à revendre, sont nombreuses. Pourtant, ce n’est pas la première fois que les autorités ouvrent les frontières aux poubelles étrangères, même si celles-ci sont régulièrement accusées de contenir nombre de produits toxiques tels que des médicaments usagés, des piles ou des résidus d’huile. Fil rouge de la question environnementale depuis le début des années 2000, le problème de l’importation de déchets revient en cette rentrée 2016 avec une nouvelle loi aux airs de déjà-vu.

Effluves de réseaux mafieux italiens

Après les tumultueuses années 1990, marquées par une quasi-disparition de toute autorité étatique, le marché des déchets étrangers avait été légalisé une première fois en 2003 avec la soumission à un accord du conseil des ministres pour toute importation de déchets étrangers. Néanmoins, le peu d’intérêt et de contrôle portés par les autorités albanaises ont permis leur augmentation considérable. L’arrivée d’entreprises de recyclage italiennes a accéléré ce développement et fait apparaître un nouveau débouché lucratif pour les organisations criminelles de la région.

Durant les années 2000, la police italienne a jeté un nouvel éclairage sur ce trafic d’importation de déchets en arrêtant des cargos qui transportaient illégalement du matériel électronique usagé, des batteries et piles, des résidus de chantier de construction, etc. Malgré les restrictions et les accords internationaux sur la question, le peu d’informations disponibles laissent apparaître que l’Albanie a réceptionné plus de 700 000 tonnes de détritus en tout genre en quelques années.

En 2011, le Premier ministre Sali Berisha, alors à la tête de la coalition de centre-droit, avait promulgué une loi légalisant et ouvrant le marché des déchets, plaidant en faveur de l’opportunité de faire du traitement des déchets l’un des piliers économiques du pays et d’attirer ainsi l’attention des investisseurs. À l’’époque, l’actuel Premier ministre, Edi Rama, parlait de « trahison nationale » mettant en garde sur le danger qu’encourait la population et sur le risque que le pays ne devienne l’une des principales déchetteries de l’Europe. Une forte pression de la société civile, dont la pétition recueillit plus de 64 000 signatures en faveur d’un référendum sur la question, poussa le tout nouveau gouvernement de centre-gauche à abroger ce texte en septembre 2013, réalisant ainsi l’une de ses rares promesses de campagne tenues à ce jour. Par la même occasion, la proposition américaine de traiter les armes chimiques syriennes sur le territoire albanais fut rejetée.

Une nouvelle loi « pour l’environnement »

La loi adoptée jeudi 22 septembre par le Parlement albanais ressemble beaucoup à la précédente. Même si le gouvernement l’assure : cette fois, le contrôle des matières entrant sur le territoire sera strict et transparent, celles-ci ne seront pas simplement entreposées ou brûlées comme auparavant, la santé des citoyens ne serait donc pas mise en danger. Le Premier ministre a parlé d’une loi « en faveur de l’environnement » et ironisé sur le fait que des « écologistes ne peuvent pas être contre le recyclage ».

Les raisons officielles de ce retour légal sont économiques et diplomatiques : selon les députés rapporteurs de la loi, l’industrie du recyclage, très lucrative il y a quelques années, est toujours bien implantée en Albanie, mais tourne seulement à 30 % de ses capacités. Le ministre des Finances Arben Ahmetaj en a fait la preuve en se rendant dans une usine de recyclage largement sous-utilisée, qui ne fonctionne que deux jours par semaine. Par ailleurs, selon le ministre de l’Environnement Lefter Koka, cette loi répondrait positivement aux directives européennes qui poussent au développement du secteur du recyclage, permettant donc au pays de faire un pas de plus vers l’Union européenne.

Alors que son parti avait voté pour la loi de 2011, le chef de file du Parti démocrate (PD), Lulzim Basha, a déclaré qu’une partie du commerce des déchets était sous la coupe d’organisations criminelles « qui veulent des pays où la loi n’existe pas, l’Albanie d’Edi Rama étant l’endroit idéal pour cela ». Après douze heures de débats, la loi a finalement été adoptée, mais c’est un demi-échec pour le gouvernement : des députés du parti socialiste d’Edi Rama ont voté contre avec l’opposition, tandis que beaucoup d’autres membres de la coalition au pouvoir ne prenaient pas part au vote.

Après avoir tenté de bloquer l’accès au Parlement avec des poubelles, les opposants appellent à une grande manifestation samedi 1er octobre et ont déjà prévenu qu’ils se tourneraient vers la voie de la consultation citoyenne si le gouvernement ne faisait pas marche arrière. Selon la Constitution albanaise, 50 000 signatures sont nécessaires pour organiser un référendum.

Alors que la mort récente d’un jeune homme de 17 ans dans une décharge a démontré une nouvelle fois les réalités des conditions de travail dans les décharges albanaises, le pays est pris entre les désirs d’Europe de ses dirigeants, la réalité de ses capacités politiques et les exigences des citoyens en demande de transparence.

L’article original ici (abonnés).

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