La Bosnie-Herzégovine toque à la porte de l’UE après sept ans d’attente

Devant la délégation de l’UE à Sarajevo @ LS

Libération – 13.12.2022 – Article

Dans le contexte de la guerre en Ukraine, la Bosnie vient de se voir accorder le statut de candidat à l’adhésion. A Sarajevo, on salue cette décision, sans illusion sur la suite.

Près de sept ans après le dépôt de sa candidature, la Bosnie-Herzégovine est enfin reconnue comme candidate à l’adhésion par l’Union européenne (UE). Les ministres des Affaires européennes de l’UE ont approuvé mardi l’octroi du statut, ont affirmé des sources diplomatiques à l’Agence France-Presse. La décision devrait être formellement endossée par les dirigeants lors d’un sommet jeudi. Si elle ne monopolise pas les conversations de Sarajevo, la décision a tout de même fait le tour de la capitale bosnienne, si peu habituée aux bonnes nouvelles. «Ce statut de candidat, c’est quelque chose de positif, je pense que ça peut faire avancer beaucoup de choses ici, espère ainsi Elmar, 19 ans, qui finit sa scolarité dans le quartier de Dobrinja. Ça peut nous pousser à améliorer le fonctionnement de nos institutions, comme la présidence, c’est le plus gros problème de la Bosnie-Herzégovine.»

Les 3 millions de Bosniens s’inquiètent surtout, en ce moment, des conséquences de la crise énergétique. Chômage, marasme économique et inflation à plus de 17 % : à l’aube d’un hiver difficile, beaucoup voient d’un bon œil ce rapprochement, même limité, avec l’UE, deuxième puissance économique mondiale. «Le quotidien est dur en ce moment, donc ça pourrait amener du mieux, veut ainsi croire Tamara, une avocate de 39 ans qui habite à Sarajevo Est, dans l’entité serbe du pays. Peut-être que ça améliorera un peu la situation économique avec des créations d’emplois. Comme ça, les gens auront plus de possibilités de travailler et ils ne seront plus obligés d’émigrer.» Entre 2013 et 2019, faute de perspectives, près d’un demi-million de Bosniens sont partis chercher une vie meilleure ailleurs, notamment en Allemagne.

Un projet partagé

Dans un pays miné par les divisions, la perspective européenne est l’un des rares projets que semblent partager les différentes communautés. Il y a un an, les menaces de sécession agitées par les dirigeants de la République serbe de Bosnie ont fait craindre un retour des violences, vingt-sept ans après la fin d’une effroyable guerre qui a fait plus de 100 000 morts et 2 millions de déplacés. «Cette décision de l’UE, c’est une bonne chose, les politiciens ne parleront plus seulement de nationalisme, mais ils pourront aussi s’occuper des fonds européens, lance ainsi Marko, un ouvrier du BTP de Sarajevo Est. Les gens commenceront peut-être à penser de façon plus positive. Aujourd’hui, on se dit juste : “Pourvu que ce qui nous est arrivé il y a trente ans ne se répète pas.” Quand un homme travaille, il ne pense pas à des choses stupides, mais quand il ne fait rien et qu’il y a de la manipulation politique, tout peut arriver.»

Si les Bosniens restent plutôt favorables au projet européen, celui-ci a largement perdu de son aura au fil des années. La lenteur du processus d’élargissement mais aussi certains compromis de la diplomatie européenne avec des chefs nationalistes corrompus ont déçu les partisans d’une Bosnie démocratique. Les quotas ethniques requis par la Constitution leur semblent incompatibles avec les valeurs européennes. «En tant que Bosnien, Rom, Juif ou autres, on ne peut pas candidater au poste de la présidence de la Bosnie-Herzégovine ni être élu député à la Chambre des peuples, si on ne se déclare pas membre de l’une des trois communautés ethniques : bosniaque, serbe ou croate, dénonce ainsi Suad Dozic, animateur de l’initiative citoyenne Restart. Il s’agit d’une discrimination manifeste qui a fait l’objet de plusieurs condamnations par la Cour européenne des droits de l’homme. Mais ici, la communauté internationale et le haut représentant ne font rien pour changer cela. Au contraire, ils travaillent à diviser davantage le pays.»

Divisions communautaires attisées

Loin de répondre aux demandes des Européens, les partis ethnonationalistes au pouvoir depuis vingt ans se sont surtout efforcés d’attiser les divisions communautaires pour conserver le pouvoir. Mais dans le contexte de la guerre en Ukraine, la proximité affichée de l’actuel président de la Republika Srpska, l’entité serbe de Bosnie, avec Vladimir Poutine a poussé les dirigeants européens à passer outre leurs exigences et envoyer un message politique.

«Si la Bosnie-Herzégovine obtient le statut de candidat, c’est seulement parce que l’UE veut éviter que la Russie n’accroisse son influence dans le pays, résume la politologue Ivana Maric. Au cours des quatre dernières années, la Bosnie-Herzégovine n’a fait aucun progrès sur les quatorze conditions posées par l’UE : aucune d’entre elles n’a été remplie.» Réforme du système judiciaire, lutte contre la corruption et la criminalité organisée ou encore garanties concernant la liberté d’expression… Des conditions qui paraissent autant d’obstacles encore insurmontables, pour l’heure, pour le système politique bosnien.

Le reporage sur le site de Libération.

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