En république serbe de Bosnie, «le gouvernement actuel est arrivé grâce aux chars de l’Occident»

Stand du parti au pouvoir à Banja Luka @ LS

Libération – 01.10.2022 – Article

A Banja Luka, au cœur d’une république serbe de Bosnie sous la coupe du leader ultranationaliste Milorad Dodik et rongée par la corruption et les tensions inter-ethniques, le conflit en Ukraine a ravivé la flamme pro-russe et le ressentiment contre l’Occident.

Depuis le 24 février, ils apparaissent régulièrement sur les murs de nombreuses villes des Balkans, toujours dans les régions majoritairement serbes. Des Z en soutien à l’armée russe, mais aussi des peintures murales célébrant Vladimir Poutine ou encore des slogans «NATO Go Home».

Des pistaches dans les mains, Predrag, 71 ans, remonte une rue piétonne très animée de Banja Luka, la capitale de la république serbe de Bosnie. Autour de ce vétéran de l’armée des Serbes de Bosnie, la campagne électorale bat son plein et les couleurs panslaves du drapeau serbe s’affichent sur tous les stands des partis politiques. «Je ne m’intéresse pas trop à l’actualité internationale, je veux seulement que la Russie gagne, lâche-t-il avant même qu’on lui pose la question. Il faut que ces flics américains arrêtent de faire la loi. Dans les années 90, ils ont tout détruit.»

«L’Otan a trop de sang sur les mains»

L’antiaméricanisme n’est pas chose nouvelle au sein de la Republika Srpska (RS) et de son million d’habitants. Dans une société où les bombardements de l’Otan dans les années 90 [sur la Bosnie-Herzégovine en 1995, et la Serbie-et-Monténégro en 1999, ndlr] sont vécus comme une humiliation, les Serbes de Bosnie reprennent généralement à leur compte les arguments des médias pro-Kremlin.

Les contradictions des Occidentaux sont rapidement exhibées pour justifier le conflit en Ukraine. «L’Occident est déjà ouvertement intervenu trois ou quatre fois dans notre politique intérieure, estime ainsi Nikola, un lycéen de 18 ans qui votera pour la première fois ce dimanche. Le gouvernement qui est au pouvoir actuellement est arrivé grâce aux chars de l’Occident. Je ne veux pas que la Bosnie soit soumise à un quelconque impérialisme oriental ou occidental. En plus, l’Otan a vraiment trop de sang sur les mains.»

Cette complainte anti-occidentale se diffuse sans difficultés dans la RS de Milorad Dodik, au pouvoir depuis seize ans avec son parti, l’Alliance des sociaux-démocrates indépendants (SNSD). Modéré et pro-américain à ses débuts sur la scène politique, le chef des Bosno-Serbes s’est mué en un ultranationaliste autoritaire, qui menace régulièrement de faire imploser l’Etat de Bosnie-Herzégovine. Aujourd’hui sur liste noire des Etats-Unis pour corruption, et à nouveau candidat à la présidence de la RS pour les élections de dimanche, Dodik joue depuis des années une partition aux accents russophiles très prononcés.

La menace d’un «scénario ukrainien»

Il fait aujourd’hui partie des très rares dirigeants de la planète à s’être rendu chez Vladimir Poutine depuis le début du conflit en Ukraine. «Notre aspiration vers la Serbie est naturelle. La situation est similaire à celle des Russes d’Ukraine : 15 millions de personnes à qui les autorités ont refusé le droit à leur langue. L’opération spéciale de la Russie est justifiée par la nécessité de protéger leur peuple, déclare-t-il ainsi à l’agence russe Tass quelques heures avant sa chaleureuse rencontre avec Poutine le 20 septembre, à moins de deux semaines des élections. C’est la même chose ici. Nous ne pouvons pas partager les mêmes écoles ni avoir les mêmes manuels scolaires que les musulmans.»

Le soutien affiché de Dodik à l’agenda du Kremlin inquiète de plus en plus du côté des responsables européens et américains. D’autant plus qu’une éventuelle adhésion à l’Alliance atlantique de la Bosnie-Herzégovine fait partie des nombreux points de ruptures entre dirigeants bosniens. «Les acteurs politiques de la RS qui prêtent allégeance à Poutine au milieu de l’invasion russe de l’Ukraine suivront la politique du Kremlin non seulement sur l’Ukraine, mais aussi sur l’Otan, prévient Samir Beharic, analyste et chargé de recherche auprès de la plateforme pro-européenne Balkan Forum. En mars de cette année, l’ambassadeur de Russie en Bosnie-Herzégovine a menacé le pays d’un “scénario ukrainien” au cas où ses politiciens décideraient de rejoindre l’Otan.»

Dans une Bosnie-Herzégovine où la bataille des mémoires fait rage, le chef des Bosno-Serbes n’a cessé de manier une rhétorique incendiaire, tout en imposant une nouvelle approche de l’histoire récente qui fait fi des atrocités de la politique de nettoyage ethnique mise en œuvre par les forces serbes lors de la guerre des années 90. Les manuels de la RS passent désormais sous silence le siège de Sarajevo ainsi que le génocide de Srebrenica. Une dérive négationniste qui, telle une boîte de Pandore, a ouvert la voie à ses opposants, tous embarqués dans une surenchère nationaliste lors de cette campagne électorale.

«Tout est pourri !»

«La Republika Srpska doit se défendre», scande ainsi un rap entraînant sur la place Krajina. Afin de mobiliser une jeunesse qui fuit le népotisme et les salaires de misère et émigre massivement vers l’Union européenne, Drasko Stanivukovic, le jeune maire de Banja Luka, membre du principal parti d’opposition, s’affiche habillé en gardien de but, prêt à défendre la RS face à de potentiels agresseurs… Et, en premier lieu, le crime organisé et la corruption, auxquels est associé le régime du SNSD de Dodik.

«Tout est pourri ! Nous sommes les otages de la mafia qui règne actuellement en RS, accuse ainsi Nebojsa Vukanovic, l’un des nombreux candidats des partis d’opposition. Le gouvernement actuel a complètement fusionné avec le crime organisé, ils ont capturé les institutions et certains sont devenus des cadres du SNSD. C’est pour ça que rien ne fonctionne : ni le système judiciaire, ni la police, ni le système de santé, ni l’éducation.»

Dans ce paysage sinistré, et alors que la crise économique annonce une explosion de la pauvreté cet hiver, un ressentiment semble également monter face à l’échec de la communauté internationale dans le pays. Les diplomates et experts étrangers sont perçus comme complaisants avec une classe politique corrompue et déconnectés des réalités sociales de la RS. «Les gens de la communauté internationale restent toujours à Sarajevo et ils ne viennent jamais ici, à Banja Luka, ils ne comprennent pas le pays, juge Tihomir, l’un des rares activistes mobilisés pour la défense de l’environnement en RS. Ils réagissent souvent avec mépris : “Ah, vous, les gens de Banja Luka…” Et pendant des années, j’ai eu honte d’être serbe à cause de ce qui s’est passé dans les années 90. Mais je n’ai plus envie d’avoir honte pour des choses que je n’ai pas commises.»

Le reportage sur le site de Libération.

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