Élections en Bosnie-Herzégovine: «Nos dirigeants cherchent à nous diviser pour mieux régner»

Vares est une ville minière @ LS

Tribune de Genève – 30.09.2022 – Article

Alors que la campagne électorale est dominée par les partis nationalistes et leurs slogans identitaires, certaines villes revendiquent le vivre-ensemble.

À quelques jours des élections générales du 2 octobre, la campagne électorale bosnienne ressemble aux précédentes: des slogans identitaires, des discours séparatistes, des menaces… Dans un pays toujours hanté par la guerre fratricide des années 90, cette stratégie de la tension désespère Terezija, qui a longtemps travaillé en Allemagne avant de revenir vivre près des immenses forêts de sapins, dans sa ville natale de Vares, à 45 km au nord de Sarajevo.

«Toutes ces disputes, c’est vraiment terrible, mais ici à Vares, les gens ont toujours bien cohabité», assure cette dame de 73 ans, une croix autour du cou. «Regardez notre centre-ville: l’église catholique, l’église orthodoxe et la mosquée, les trois en moins de 100 mètres! Les politiques se querellent tous les jours autour des questions de nationalités et d’identités… Mais ici, on vit bien ensemble.»

Musulmans et minorités

Avant 1992, Vares était l’une de ces villes typiques du centre de la Bosnie, à l’industrie robuste et à l’économie prospère. Mais la guerre a emporté avec elle le système autogestionnaire socialiste cher à Tito. Dévastées et soumises à la spéculation, les usines ont fermé, et Vares a perdu près des deux tiers de ses habitants, pour n’en compter que 9000 aujourd’hui.

Partis au début du conflit, la plupart des Serbes orthodoxes ne sont jamais revenus habiter la ville, située depuis 1995 dans l’un des dix cantons de la Fédération de Bosnie-Herzégovine (croato-musulmane), l’une des deux entités du pays (avec la République serbe de Bosnie). Quelque 2500 Croates catholiques vivent aujourd’hui aux côtés de la majorité bosniaque musulmane, ainsi que d’autres minorités.

«Du temps de la Yougoslavie, Vares comptait l’un des plus grands nombres de mariages mixtes du pays», explique Mirza Janovic, un entraîneur de football de 38 ans, né à Vares. «Moi-même, ma mère est catholique et mon père est musulman, et ces questions d’identités nationales n’ont jamais compté dans mon éducation. Le cas de Vares est peut-être un peu spécial, mais je pense que ce vivre-ensemble est fréquent en Bosnie centrale. Dans l’équipe que j’entraîne à Sarajevo, les garçons sont musulmans, catholiques ou orthodoxes, et il n’y a absolument aucun problème.»

Bas salaires et inflation

Depuis la fin de la guerre, il y a vingt-sept ans, la Bosnie-Herzégovine étouffe sous le carcan des accords de Dayton. Ces accords de paix, imposés par la diplomatie américaine d’alors, ont mis fin aux combats meurtriers, mais, en établissant des institutions façonnées par les lignes ethniques des belligérants, ils ont aussi fait le lit des partis nationalistes qui se maintiennent au pouvoir avec leurs slogans identitaires.

«Nos dirigeants cherchent juste à diviser pour mieux régner, et ils nous empêchent d’avancer», se désole Beoma, une coiffeuse de 48 ans. «En se disputant constamment, ils ne travaillent pas à résoudre les problèmes économiques. Pourtant, c’est ça qui est important: faire que les choses s’améliorent concrètement pour les gens.»

Plus que des tensions ethniques, les Bosniens s’inquiètent surtout de la faiblesse des salaires locaux et d’une inflation à près de 10%. L’an dernier, lassés de ces tensions et de la corruption, ils ont été plus de 170’000 à chercher ailleurs une vie meilleure, en Allemagne notamment.

Freiner l’exode de la population locale, c’est l’objectif de Zdravko Marosevic depuis 2016. Cet homme imposant à l’humour généreux est le représentant local du parti HDZ, le parti nationaliste bosno-croate. À rebours de ses dirigeants, Marosevic refuse les discours communautaristes. Il préfère s’appuyer sur la culture ouvrière de la ville pour susciter la confiance de ses administrés. Une stratégie payante: en 2020, le charismatique édile a été réélu maire grâce aux voix de la majorité bosniaque musulmane.

«La Bosnie-Herzégovine est souvent perçue à travers de nombreux stéréotypes, et notamment ethniques, mais ici, à Vares, ils ne fonctionnent tout simplement pas. Grâce à notre passé de ville minière et industrielle, nous avons acquis un haut degré de tolérance. Nous savons que c’est ensemble que l’on construira un avenir meilleur et qu’on fera en sorte que ce qui nous est arrivé il y a trente ans ne se reproduise pas.»

«Un vrai apartheid»

Alors que le précédent maire du SDA, le parti nationaliste bosniaque, est aujourd’hui en prison pour corruption, Zdravko Marosevic vante les projets d’investisseurs turcs ou arabes qu’il espère synonymes de renaissance économique pour sa ville.

Si, à Vares, on aime célébrer le vivre-ensemble, la ville n’est pas épargnée par les tensions qui menacent un État de plus en plus chancelant. «À Vares, ça se passe plutôt bien, mais on ne peut pas être satisfaits de la situation», souffle Mirza Imamagic, un entrepreneur de 49 ans qui amène son fils à l’école. «Ici aussi, nos écoles sont divisées: mon fils va dans une école avec un programme bosniaque, et les enfants croates vont dans une autre. C’est un vrai apartheid, et, ça, au XXIe siècle! C’est à cause de cette terrible politique qui est menée en Bosnie-Herzégovine.»

Une politique de séparation ethnique promue par Zagreb et Belgrade, mais pas seulement. Après avoir tenté cet été d’imposer une réforme de la loi électorale, le haut représentant de la communauté internationale à Sarajevo s’est vu accuser de relayer les arguments des nationalistes et de mettre en danger l’intégrité de la Bosnie-Herzégovine. Il a dû faire marche arrière.

Le reportage sur le site de la Tribune de Genève.

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