Djokovic revient au bercail en martyr de la Serbie

Tribune de Genève – 18.01.2022 – Article

L’expulsion de la star du tennis par le gouvernement australien soude les Serbes autour de leur idole. Le joueur assume lui-même un patriotisme décomplexé.

C’est une histoire comme on les aime en Serbie. Celle d’un combattant qui lutte pour sa liberté et ses opinions, seul contre le monde entier. Peu importe que cet Open 2022 se solde par un revers cuisant pour Novak Djokovic, avec son expulsion et une possible interdiction pour trois ans du territoire australien. À son atterrissage à Belgrade ce lundi, c’est en vainqueur que Nole (son surnom en Serbie) revient au pays natal.

«Ce n’est pas Novak qui est humilié, mais ce sont les autorités australiennes qui se sont humiliées elles-mêmes», a ainsi déclaré dimanche le président serbe, Aleksandar Vucic. «Novak Djokovic peut retourner dans son pays la tête haute et regarder tout le monde dans les yeux.»

Critiqué dans le monde entier, le No 1 mondial sait qu’il peut compter sur le soutien massif de ses compatriotes. «Torture», «chasse aux sorcières», «crucifixion»… La classe politique et les médias serbes ont rivalisé d’hyperboles, souvent religieuses, pour dénoncer le traitement réservé à l’enfant du pays.

Nationalisme ravivé

Car en Serbie, l’affaire est entendue: malgré ses positions antivaccins et ses déclarations contradictoires sur son infection au Covid-19 en décembre, Novak est la victime d’un acharnement politique, d’une «tentative d’attentat» même, avec «50 balles dans la poitrine», selon le père de la star, qui avait récemment comparé la destinée de son fils à celle de Spartacus et de Jésus-Christ.

Déjà considéré comme un demi-Dieu dans son pays natal pour ses exploits sportifs et ses engagements humanitaires, le sportif de 34 ans semble aujourd’hui inscrire son nom à la longue liste des martyrs de la mythologie serbe. Les fresques murales célébrant l’idole à la raquette se sont multipliées ces derniers jours à Belgrade, et le sort de Djokovic a ravivé les discours nationalistes, bien au-delà des frontières du pays.

Certains n’hésitent pas à crier au racisme anti-Serbe. «Pour nous, en Republika Srpska, il ne fait aucun doute que c’est une décision politique, et que beaucoup de choses honteuses se sont passées en Australie, parce que vous êtes Serbe», a ainsi écrit à Djokovic Milorad Dodik, l’homme fort de la Republika Srpska, l’entité serbe de Bosnie-Herzégovine, actuellement engagée dans une dangereuse dérive sécessionniste.

Djokovic patriote

Ces discours victimaires peuvent paraître outranciers, voire farfelus hors des Balkans, ils font souvent mouche dans la Serbie de 2022. De la bataille perdue de Kosovo Polje contre les Ottomans en 1389 aux bombardements de l’OTAN en 1999, le nationalisme serbe se nourrit des défaites et des événements tragiques de l’histoire pour glorifier l’identité et la terre nationale. Bien que résident à Monaco, Djokovic n’a jamais oublié ses racines et les conflits géopolitiques qui ont marqué la Serbie sous embargo de son enfance. Il a par exemple régulièrement affiché son patriotisme sur la question du Kosovo, où est né son père. «Nous sommes prêts à défendre ce qui est à nous de plein droit. Le Kosovo, c’est la Serbie, cela aurait toujours dû être ainsi», déclarait-il ainsi en février 2008 dans un message de soutien à un rassemblement patriotique organisé à Belgrade contre la déclaration d’indépendance de cette province de Serbie, majoritairement albanophone.

Ces dernières années, la star du tennis a régulièrement fait polémique dans la région. En janvier 2020, c’est par un chant nationaliste qu’il a célébré avec ses coéquipiers la victoire de l’équipe serbe à l’ATP Cup. Un an plus tard, il s’affichait aux côtés de l’ancien commandant d’une unité militaire ayant participé au génocide de Srebrenica.

Devenu l’emblème mondial des antivaccins avec cette affaire australienne, le «Novax» adepte des remèdes alternatifs embarrasse quelque peu le président Aleksandar Vucic. À l’approche des élections législatives et locales d’avril prochain, celui-ci joue un difficile jeu d’équilibriste en soutenant l’idole d’une nation très perméable aux discours conspirationnistes, tout en encourageant la vaccination.

Alors que la campagne locale avait démarré sur les chapeaux de roues, la Serbie affiche l’un des taux de vaccination les plus bas d’Europe (48% de la population). Parmi les responsables politiques, personne n’a osé critiquer les récents choix du Serbe le plus connu de la planète. Même défait en Australie, Nole reste intouchable en Serbie.

Le reportage sur le site de la Tribune de Genève.

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