
La Tribune de Genève – 06.04.2021 – Article
Championne de la vaccination, la Serbie offre des doses à ses voisins et propose des injections gratuites aux étrangers. Une générosité qui vise à redorer l’image du pouvoir serbe.
Le vaccin anti-Covid-19 est en train de s’imposer comme l’arme géopolitique de l’année 2021. Dans les pays d’ex-Yougoslavie, la stratégie de Belgrade rencontre un fort écho médiatique. Après le Royaume-Uni, la Serbie fait figure de championne de l’immunisation, notamment grâce à ses achats massifs de vaccins russes et chinois encore non homologués par les régulateurs européens. Près de deux millions et demi de Serbes – sur une population totale de sept millions – ont déjà reçu au moins une dose, et le pays expérimente le «tourisme vaccinal», une première en Europe.
Venus de Bosnie-Herzégovine, de Macédoine du Nord, du Monténégro ou même d’Albanie, des milliers de Balkaniques, lassés des lenteurs et des failles de leurs propres systèmes de santé, ont ainsi répondu à l’offre de vaccination gratuite émise par les autorités serbes ces derniers jours. Dans les files d’attente devant les centres de vaccination de Belgrade, on trouve même des ressortissants de toute l’Europe pressés de se faire immuniser.
«J’ai essayé de me faire vacciner en Suisse et aussi en Allemagne, mais je ne pouvais pas. Je peux comprendre la stratégie vaccinale de ces pays, mais cette vaccination gratuite [en Serbie] m’arrange», explique ainsi Daniel Bindernagel, un médecin suisse, au micro de France 24. Certains médias locaux ont expliqué que la Serbie était en possession de grandes quantités de vaccins AstraZeneca dont la date de péremption courait jusqu’à fin mars, une affirmation non confirmée par les autorités.
Dons aux pays voisins
AstraZeneca donc, mais aussi Spoutnik V, Pfizer/BioNTech et surtout Sinopharm: Belgrade s’est procuré dès janvier d’importants stocks de vaccins en négociant directement avec les fabricants et en faisant appel à Vladimir Poutine ou à Xi Jinping. Ces réserves ont permis au pouvoir serbe de se présenter sous un jour nouveau dans les Balkans.
Le très nationaliste président serbe, Aleksandar Vucic, a ainsi offert des milliers de doses aux pays voisins en se rendant personnellement à Sarajevo, en Bosnie-Herzégovine, et à la frontière serbo-macédonienne. Ces dons, très relayés par les médias proches du pouvoir serbe, ont permis de lancer les campagnes de vaccination au Monténégro et en Macédoine du Nord.
«Pour un pays dont l’image a été surtout négative au cours des dernières décennies, et pour le gouvernement de Belgrade, considéré à juste titre comme autoritaire et souvent hostile envers ses voisins, la crise sanitaire a été utilisée avec succès comme une occasion d’inverser le discours et d’accroître le soft power serbe dans la région», analyse ainsi Luka Steric, du Centre de Belgrade pour les politiques de sécurité (BCSP).
Axe Belgrade-Pékin
Dans la compétition internationale pour l’obtention des vaccins, la diplomatie serbe a su jouer de son positionnement original pour remplir les congélateurs du pays. Alliée historique de la Russie, candidate à l’Union européenne depuis 2012, la Serbie a surtout renforcé ces derniers mois ses relations avec la Chine, dont elle a déjà obtenu plus de deux millions de doses.
«La caractéristique clé de la politique étrangère serbe est l’équilibre entre l’Orient et l’Occident, résume ainsi Luka Steric. En jouant ce double jeu, Belgrade tente de profiter économiquement et politiquement de la collaboration des deux côtés. Dans le cas des vaccins, une telle ambiguïté dans sa politique étrangère a complètement porté ses fruits, car la Serbie avait de multiples portes auxquelles frapper et a pu se tourner vers l’Est lorsque les expéditions européennes promises se sont avérées insuffisantes.»
Non sans railler l’échec des stratégies européennes, Aleksandar Vucic compte bien poursuivre sa diplomatie sanitaire. Le président serbe a annoncé vouloir faire de la Serbie un «hub régional» des vaccins avec la production prochaine du Spoutnik V et du Sinopharm sur le territoire serbe. Mais il n’est pas sûr que ce prestige acquis sur la scène régionale suffise pour résoudre la crise sanitaire: la Serbie connaît paradoxalement un nouveau pic de contaminations ces jours-ci et la campagne nationale de vaccination ralentit, freinée par une baisse d’intérêt de la population.
L’article sur le site de La Tribune de Genève.