«Le Kosovo est un pays indépendant et il serait bon que la Serbie le reconnaisse»

Albin Kurti à Pristina @ LS

Libération – 16.06.2020 – Article

L’ex-Premier ministre Albin Kurti, dont le gouvernement a chuté fin mars, revient sur le climat politique qui a conduit à son départ et évoque les réformes, notamment contre la corruption, à entreprendre dans son pays.

Ancien étudiant rebelle passé par les geôles du régime de Milosevic, le chef du parti de gauche souverainiste Vetëvendosje! («Autodétermination»), Albin Kurti, s’est confronté à l’exercice du pouvoir en tant que Premier ministre pendant cinquante et un jours (son gouvernement a chuté le 25 mars). Le temps de subir les foudres de la diplomatie américaine de Donald Trump et de ferrailler avec la classe politique de son pays. Retombé dans l’opposition mais fort d’une popularité au beau fixe, Kurti, 45 ans, prépare son retour à la tête de l’Etat kosovar. Avec l’autodétermination comme éternel credo, pour s’attaquer à la corruption et aux inégalités sociales, mais aussi pour faire enfin reconnaître pleinement l’indépendance de l’ancienne province serbe.

Vous avez été l’une des premières victimes politiques de la pandémie. Qui décide au Kosovo ?

Le Kosovo a deux adversaires principaux. Le premier, c’est la Serbie, qui ne nous reconnaît pas en tant que pays indépendant et travaille dur pour saper notre souveraineté et notre intégrité territoriale. Et le deuxième, c’est cet adversaire interne qui s’appelle la corruption et le crime organisé.

Dans vos précédentes déclarations, vous parliez également de l’envoyé spécial de Donald Trump, Richard Grenell…

Il arrive un peu plus tard dans l’histoire. Une première chose : aujourd’hui, le nouveau gouvernement dépend de chaque député de la liste serbe. S’il perd un seul de ces élus, il chute. La deuxième chose, c’est que des membres du Parti démocratique du Kosovo et de la Ligue démocratique du Kosovo ont eu peur de notre campagne anticorruption. Parce qu’ils ont vu que nous ne craignions pas les corrompus.

Mais en formant cette coalition, vous vous étiez engagé avec ces corrompus…

Nous avions besoin d’une majorité, et nous nous sommes engagés [avec la LDK, ndlr], mais sur un programme anticorruption. Quel est l’intérêt de changer la donne politique sans toucher aux questions sociales et économiques ? C’est au moment de lancer cette campagne que nous avons subi les pressions de l’ambassadeur Grenell.

Vous avez parlé d’un «plan secret»…

Richard Grenell voulait un arrangement rapide entre le Kosovo et la Serbie [sur les échanges de territoires, ndlr]. Il voulait une «success story».

Et vous ne faisiez pas partie du scénario ?

Non, et je lui ai dit que le fond est plus important que le temps… J’étais d’accord avec lui : nous avons besoin d’un accord avec la Serbie, mais pas par n’importe quels moyens. Pas en faisant pression sur mon partenaire de coalition pour lever les mesures de réciprocité et les taxes sur les produits serbes, simplement parce que Belgrade le veut. Il était pressé, il avait besoin d’une belle représentation pour son chef, et rapidement.

Mais étiez-vous vraiment prêt à faire des concessions à la Serbie ?

C’est une grande concession de s’asseoir à la même table que le Président Vucic… J’étais en prison quand il était ministre de Milosevic.

Si demain, vous êtes de nouveau Premier ministre, ce sera encore une «concession» de s’asseoir avec Vucic ?

Toujours. Je m’assoirai, mais c’est déjà une concession. Le Kosovo est un pays indépendant et il serait bon que la Serbie le reconnaisse. Mais je ne vais pas la supplier de nous reconnaître, et je ne suis pas prêt à donner un territoire pour une reconnaissance. Nous pouvons parler en termes de droits humains et de besoins des communautés, mais pas en termes de contrôle de territoires. Cette pensée a disparu avec le XXe siècle, avec la guerre, et nous n’allons pas revenir à la guerre.

Vos adversaires politiques kosovars soutiennent cet échange de territoires ?

Le président [du Kosovo], oui. L’idée de l’échange de territoires vient du président Vucic qui l’appelle «razgraničenje» («délimitation»). Poser un mur entre les ethnies. Je pense que Vucic voulait souffler cette idée au président Trump, qui est arrivé au pouvoir en parlant de mur avec le Mexique. Vucic voulait montrer que la Serbie était comme les Etats-Unis des Balkans…

Mais il y a des murs dans la société kosovare, très visibles dans le nord du Kosovo…

Nos gouvernements n’ont pas voulu que les institutions s’y renforcent. Pour moi l’intégration va avec le développement économique. Il faut revitaliser le complexe minier de Trepca, où les Serbes et Albanais peuvent travailler ensemble. Il n’est pas nécessaire d’avoir Trepca nord et Trepca sud. Il faut une université européenne à Mitrovica, où Serbes et Albanais étudient ensemble. Il faut créer des ponts physiques et institutionnels.

Mais ici dans votre bureau, c’est le drapeau albanais. Ne pensez-vous pas que ce drapeau n’aide pas à rassembler au Kosovo ?

Le drapeau du Kosovo a été présenté à nos députés le jour même où nous avons déclaré notre indépendance. Il a été imposé. Le drapeau français a de l’histoire en lui. La Nouvelle-Zélande a voté pour le sien. Un drapeau, ce doit être soit de l’histoire, soit de la démocratie. Notre drapeau n’a aucun des deux. Mais nous le respectons dans les institutions.

Et vous croyez dans le «Kosovo multiethnique» ?

Je crois dans le Kosovo multiethnique qui va émerger d’un nouveau modèle socio-économique. Pas une multiethnicité où le point de départ est l’ethnicité, et la méthode la tolérance. Parce que la tolérance évoque une idée de distance entre les gens, presque une distance de cimetière… Et la tolérance est passive. Vous ne pouvez pas obtenir un accord par les moyens de la tolérance, il faut de l’engagement.

Et des concessions.

Et des concessions. Mais l’Albanie ne me paie pas pour avoir ce drapeau. Alors que pour défendre sa position, Belgrade paie la lista Srpska, et c’est ça le problème. L’autodétermination, c’est comme la démocratie, ça vient d’en bas.

Activiste revendiqué, vous étiez préparé au rôle de Premier ministre ?

Je l’étais oui, bien sûr. Mais pas au Covid-19… C’était une chose très étrange, mais nous l’avons bien gérée en prenant des mesures très rapidement. Ma formation est celle d’un activiste, mais quand vous êtes Premier ministre, vous l’êtes à plein temps. Mais nous avons besoin d’une victoire plus large pour mettre en place nos réformes sur la santé, l’éducation, la sécurité, la justice.

Et quand le contexte sera-t-il le bon ?

Après les prochaines élections. Qui auront lieu cette année assurément. Nous aurons la majorité pour ces réformes. Dans les sondages, nous sommes à plus de 50 % d’intentions de vote.

Les citoyens du Kosovo ne sont-ils pas fatigués d’aller voter presque chaque année ?

Je pense qu’ils sont surtout fatigués de cette misère sociale et de la stagnation économique.

Vetëvendosje!, est-ce seulement Albin Kurti ?

Ma popularité a augmenté de 30 % en devenant Premier ministre, mais pour d’autres, elle a augmenté de 2 000 %. Celle de la ministre de la Santé est extraordinaire. La popularité s’évalue par l’action responsable et des résultats concrets.

Vous parlez de votre gouvernement. Etes-vous certain de revenir au pouvoir ?

Le gouvernement actuel n’est pas légitime. Il n’a pas de crédibilité. Avec 61 députés [sur 120, ndlr], Ils ne peuvent rien faire. C’est une comédie. Et nous devons prévenir une fin tragique.

L’entretien original sur Libération.

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