La Serbie, pont avancé de Russia Today en Europe

Affiches pour le lancement de RT Balkan dans le centre de Belgrade @ LS

Libération – 26.04.2023 – Article

Bannie dans l’Union européenne, la chaîne Russia Today a ouvert un bureau à Belgrade. Elle espère surfer sur le fort ressentiment antioccidental qui se fait entendre dans la société serbe pour poursuivre sa guerre de l’information.

L’affiche se déroule sur toute la façade d’un immeuble du centre de Belgrade. On y voit un logo noir sur fond vert : «RT Balkan», avec un slogan écrit en russe : «Konachno», «bien sûr» en français. Si la plupart des passants ne connaissent pas Russia Today, ils ne s’opposent pas à l’arrivée du média russe en Serbie. «Je suis totalement contre tout type d’interdiction des médias, estime ainsi Zoran, 62 ans. Moi, je serais pour une ouverture complète : qu’on puisse regarder une chaîne française, une chaîne allemande, mais aussi une chaîne russe…»

Quelques jours après l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe, Russia Today et Sputnik, autre média financé par le Kremlin, ont été bannis des 27 pays de l’Union européenne (UE), accusés de manipulation et de désinformation. Mais cet automne, la chaîne d’information continue russe a ouvert des bureaux à Belgrade, où Sputnik était installée depuis longtemps. Une capitale serbe plutôt accueillante : elle est la seule ville d’Europe où des manifestations ont lieu en soutien à l’armée russe et à Vladimir Poutine. «Ici, qui n’aime pas la Russie ? sourit Branislav, directeur d’une école primaire. Je vois comment les médias occidentaux traitent le conflit en Ukraine : c’est pas très différent de quand l’Otan nous a bombardés. On sait que beaucoup de choses sont manipulées. C’est normal que la Russie défende ses positions.» Le souvenir des bombardements de l’Otan du printemps 1999 et des années d’embargo est encore vif à Belgrade. Dans le contexte ukrainien, les slogans antiaméricains ont refait leur apparition le long des boulevards, et des tee-shirts floqués du «Z» de l’armée russe se vendent dans le centre historique.

Défense d’un Kosovo serbe

Ce ressentiment antioccidental et ces discours victimaires se diffusent depuis des années dans la Serbie du président Aleksandar Vucic. Alors qu’il contrôle la plupart des grands médias, cet ancien ministre de l’Information de Slobodan Milosevic a longtemps favorisé les discours prorusses. Grâce à son veto au Conseil de sécurité des Nations Unies, la Russie est en effet un soutien indispensable sur la question très sensible du Kosovo, dont Belgrade ne reconnaît toujours pas l’indépendance, proclamée en 2008. «Notre relation avec la Russie n’a pas seulement ses racines dans notre amitié vieille de 200 ans, assure Filip Rodic, un journaliste belgradois qui vante la «fraternité slave» qui unirait la Serbie et la Russie. Elle a aussi ses racines dans les événements de ces trente dernières années, et l’agression de l’Otan contre la Serbie. Aujourd’hui encore, c’est la Russie qui comprend le besoin des Serbes pour préserver le Kosovo dans le sein de notre Etat, alors que l’Ouest ne le comprend pas.»

La défense d’un Kosovo serbe, c’est le cheval de bataille des médias prorusses en Serbie. Encore plus depuis que les dirigeants européens font pression sur Belgrade et Pristina pour arracher un accord de normalisation et éviter que le conflit ukrainien ne rallume des mèches mal éteintes dans les Balkans. Lors du lancement de sa version en serbe mi-novembre, la directrice de Russia Today, Margarita Simonyan, avait annoncé la couleur dans un tweet : «Parce que le Kosovo, c’est la Serbie.» Depuis, le Kosovo est omniprésent sur RT Balkan et quantité d’articles dénoncent les crimes commis par l’Otan.

«Hypocrisie occidentale»

La chaîne russe a été qualifiée «d’instrument de propagande et de désinformation» par l’UE qui a pressé Belgrade, candidate à l’adhésion depuis 2012, de prendre ses distances avec Moscou. Si les journalistes de RT Balkan sont intarissables sur «l’hypocrisie occidentale», aucun ne peut s’exprimer au nom de la chaîne. «De votre point de vue, ça peut être une manipulation, de mon point de vue, non, réplique le journaliste Filip Rodic, soutien des médias d’Etat russes. Je n’ai pas vu de mensonges depuis que je suis le travail de RT ou de Sputnik : ils présentent les choses de leur point de vue, ce qui est légitime et légal. S’il y a des mensonges, alors dites-le, prouvez-le.»

Alors que le chef du Kremlin fait presque tous les jours la une des médias serbes, cette russophilie médiatique ne fait pas l’unanimité à Belgrade. Peu audibles dans les grands médias, certains experts locaux rappellent que la Serbie est avant tout tournée vers l’Ouest : l’essentiel de ses échanges économiques, mais aussi culturels se font avec les pays européens. Et si Belgrade n’a toujours pas rejoint les sanctions européennes contre la Russie, les dirigeants serbes ont plusieurs fois condamné l’agression russe en Ukraine. «Si vous demandez au rédacteur en chef de n’importe quel tabloïd, il vous dira que le journal se vend mieux avec Vladimir Poutine en première page, ironise Vuk Velebit, spécialiste des relations russo-serbes. Mais ce discours sur l’amitié russo-serbe est largement fantasmé : il n’y a pas d’examen critique de ce que sont réellement nos relations avec la Russie. En réalité, depuis le début du conflit en Ukraine, celles-ci sont froides, lointaines et mauvaises.» Selon Radio Free Europe, le média financé par le Congrès américain, la Commission européenne serait en train de réfléchir à une manière d’interdire Russia Today Balkan.

Le reportage sur le site de Libération.

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