Monténégro : fin de partie pour Djukanovic, le vétéran de la politique balkanique

Malgré son slogan « Milo, qui d’autre ? », le président sortant a été désavoué par les électeurs @ LS

Deuxième tour :

France Culture – 03.04.2023 – Journal 6h30 – Audio – 1.30 min

Le Monténégro change de président après un scrutin historique. Le pays a été dirigé pendant plus de 30 ans par Djukanovic, qui a été battu par un jeune économiste pro-européen, Jakov Milatovic.

Écouter :

Premier tour :

Libération – Article – 19.03.2023

Le premier tour de l’élection présidentielle de dimanche dans ce petit pays des Balkans pourrait tourner une page de son histoire. Après plus de trente ans à la tête de l’État, Milo Djukanovic, candidat, risque d’être mis en difficulté par un nouveau candidat pro-européen. Portrait de ce dinosaure de la politique balkanique.

«Milo, qui d’autre ?» Comme le proclame son dernier slogan de campagne qui s’affiche sur tous les trottoirs, il se veut l’horizon indépassable du Monténégro. Tête légèrement relevée, regard quelque peu hautain, et sourire à l’envers, Milo Djukanovic pose en seigneur du petit pays montagneux de l’Adriatique et de ses 620 000 habitants. Il faut dire qu’en Europe, seul le dictateur bélarusse Alexandre Loukachenko peut rivaliser en matière de longévité au pouvoir. Près de trente-deux ans après son accession à la tête de l’État monténégrin, Djukanovic, 61 ans et actuellement président, domine toujours la vie politique de cette république parlementaire, du haut de son mètre 99. Même si la fonction de président est essentiellement cérémoniale.

Engagé très jeune dans les rangs de la Ligue des communistes sous la Yougoslavie socialiste, Milo Djukanovic a su se métamorphoser en fonction des bouleversements politiques qui ont agité les Balkans, notamment lors de l’implosion de la fédération et des guerres des années 90. Après avoir rompu avec la Serbie de Milosevic, il devient le «père» de la nouvelle nation monténégrine, indépendante, à la suite du référendum de 2006. «Son succès a été sa capacité d’adaptation, résume Florian Bieber, historien et spécialiste de l’Europe du sud-est. Il débute en tant que jeune fonctionnaire communiste, découvre le nationalisme serbe et soutient Slobodan Milosevic. Quand il se rend compte que cela n’augure pas d’un avenir brillant, il décide de soutenir l’indépendance du Monténégro et il a recherché une alliance étroite avec les Occidentaux et leur soutien. Depuis, il a pu former des coalitions changeantes et coopter des petits partis et leurs idées.» Un caméléonisme grâce auquel il peut aujourd’hui afficher un palmarès sans égal : six postes de Premier ministre et deux de président de la République.

Mystérieuse tentative de coup d’État

Ses tendances autoritaires ainsi que sa mainmise sur les institutions et l’économie du Monténégro lui auraient permis d’amasser une fortune considérable, qui le classerait parmi les dirigeants les plus riches au monde. Après que son pays a été associé à un imposant trafic de cigarettes en lien avec les mafias italiennes dans les années 90, le nom «Djukanovic» apparaît dans les Paradise papers ou les Pandora papers. En 2015, le réseau de journalistes d’investigation OCCRP désigne Djukanovic comme «personnalité de l’année dans le domaine du crime organisé», avec ces mots de récompense de la part du rédacteur en chef Drew Sullivan : «Personne en dehors du président russe Vladimir Poutine n’a dirigé un État qui repose autant sur la corruption, le crime organisé et la sale politique.»

Et pourtant, malgré ce parcours quelque peu sulfureux, l’homme fort du Monténégro n’a jamais été jugé infréquentable par les dirigeants occidentaux. Au contraire, sous sa houlette, le pays a obtenu le statut de candidat à l’Union européenne en 2010 avant d’intégrer l’Otan sept ans plus tard. Tout en faisant de son pays une destination touristique prisée d’une certaine jet-set, Djukanovic a toujours tiré à son avantage les conflits identitaires de la société monténégrine, et notamment les menaces associées au nationalisme serbe et aux ingérences du Kremlin. En 2016, une mystérieuse tentative de coup d’État attribuée aux services russes avait été déjouée le jour des élections législatives. «Il est le prototype de ce que beaucoup appellent un stabilocrate, explique Florian Bieber. Un dirigeant autoritaire qui utilise la promesse de stabilité pour obtenir le soutien de l’Occident. Pourtant, bon nombre des crises et des menaces à la stabilité sont fabriquées par ce même dirigeant.»

Djukanovic joue la carte du sauveur du Monténégro

Fortement contesté ces dernières années, le régime de Djukanovic a commencé à chanceler en 2019 avec d’importantes manifestations anticorruption, avant que la puissante Église orthodoxe serbe ne soulève les foules un an après contre un projet de loi. Dans la foulée, son Parti démocratique des socialistes perd les premières élections législatives de son histoire. Aujourd’hui, dans le contexte de la guerre en Ukraine et des craintes de déstabilisation russe dans les Balkans, Milo Djukanovic joue à nouveau la carte du sauveur du Monténégro. Dans ses meetings, il accable les partis de la coalition gouvernementale, responsables selon lui de la crise politique actuelle. «Malheureusement, le pays qui était jusqu’à hier qualifié par les partenaires internationaux d’oasis de stabilité, de modèle de société multiethnique et multireligieuse, est aujourd’hui qualifié de cancer des Balkans et de l’Europe.» Au deuxième tour de cette élection présidentielle, attendue dans deux semaines, il espère retrouver son «meilleur ennemi», l’homme d’affaires pro-russe Andrija Mandic du Front démocratique. Dans les derniers jours de campagne, tous deux semblent avoir uni leurs efforts pour contrer la montée de Jakov Milatović, du nouveau parti Europe maintenant, qui pourrait pourtant créer la surprise et aimerait insuffler un renouveau démocratique au Monténégro.

L’article sur le site de Libération.

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