Dure à sa frontière, la Croatie gagne sa place dans Schengen

La police croate doit surveiller plus de 1 300km de frontière terrestre @ LS

Tribune de Genève – 05.01.2023 – Article

Bien que dénoncée par les ONG, la Croatie se voit récompensée pour la gestion très ferme de ses frontières. Elle est depuis dimanche le 27e membre de l’Espace Schengen.

Une brume épaisse recouvre les forêts du massif de Pljesevica. Situées à 140 km au sud de Zagreb, ces montagnes enneigées séparent la Croatie de la Bosnie-Herzégovine. Depuis 2013, la frontière est aussi celle de l’Union européenne. «Au pied de ces montagnes, côté bosnien, se trouve un camp de migrants qu’on ne peut pas voir maintenant à cause des conditions météo», explique Mladen Matovinovic, le chef de la police des frontières dans le canton de Lika-Senj.

«C’est l’un des plus anciens camps de la région et, en ce moment, il y a environ 200, 300 migrants qui attendent le bon moment pour tenter d’entrer chez nous en République de Croatie.» Le long des chemins de terre qui parcourent les sous-bois, de nombreuses caméras thermiques détectent le moindre mouvement. Elles donnent l’alerte à la police croate, à l’affût dans ses 4×4 prêts à intervenir.

Depuis six ans, la Croatie est devenue l’un des principaux points d’entrée des migrants qui tentent de rejoindre certains pays d’Europe de l’Ouest, en empruntant la route des Balkans. À partir du 1er janvier, les quelque 1300km de frontières terrestres croates deviennent aussi celles de la zone Schengen, et ses 420 millions d’habitants.

Frappés et violés

«En tant que pays membre de l’UE, nous avions déjà une responsabilité assez importante. En entrant dans l’Espace Schengen, nous prenons en charge la frontière extérieure de l’Union européenne et nous sommes prêts», affirme le chef policier, en patrouillant à quelques mètres du territoire bosnien. «Nous y travaillons depuis longtemps et nous nous sommes préparés de plusieurs façons.»

Parmi les méthodes utilisées par la police croate: les refoulements directement à la frontière. Ces pushbacks, qui empêchent les migrants de déposer une demande d’asile dans le pays, Omar dit les avoir subis près d’une vingtaine de fois. Ce jeune Palestinien originaire de Gaza a passé plus d’un an en Bosnie-Herzégovine avant de réussir à entrer sur le territoire croate.

«Moi, je n’ai pas été brutalisé, mais plusieurs de mes amis ont été frappés», raconte-t-il, après avoir profité d’un repas chaud sous une tente montée par la Croix-Rouge dans le centre de Zagreb. «J’ai pu le voir lors de mes différentes tentatives: d’abord ils récupéraient les téléphones, ils les cassaient, puis ils sortaient leurs bâtons et ils frappaient certains migrants avant de les renvoyer brutalement en Bosnie.» Comme la plupart des migrants qui parviennent à entrer en Croatie (en majorité des Afghans et des Syriens), Omar compte poursuivre sa route vers la Slovénie, avec l’Allemagne comme objectif final.

Colère des ONG

Si elle semble s’être tempérée ces dernières semaines, cette gestion très ferme de la frontière se retrouve au cœur d’un bras de fer entre l’État croate et les défenseurs des droits humains. Amnesty International dénonce ainsi depuis de nombreuses années des violences systématiques et des actes de torture de la part de la police croate. «Nous avons recensé des situations où des personnes ont été violées, où on les a battues ou visées par des décharges électriques», accuse ainsi la juriste Antonia Pindulic, qui travaille pour le Centre d’études pour la paix de Zagreb (CPS).

«Certaines fois, une arme à feu a été utilisée pour leur tirer dessus au niveau des oreilles ou à côté des jambes. Donc oui: c’est évident que la torture à nos frontières a atteint des niveaux effroyables et terrifiants.» Des mauvais traitements mis en évidence l’an dernier par une enquête filmée du collectif de journalistes européen Lighthouse Reports.

Mais ces polémiques sur le respect des droits fondamentaux n’ont pas empêché la Croatie d’obtenir le feu vert pour entrer dans l’Espace Schengen au 1er janvier. Mis sur pied à l’été 2021, le «mécanisme indépendant de surveillance des droits humains» semble avoir satisfait les dirigeants européens qui font confiance au gouvernement conservateur pour surveiller la frontière.

«Pas de preuves concrètes»

«À ces accusations de traitements inhumains, je réponds qu’il n’y a pas beaucoup de preuves concrètes», réplique ainsi Terezija Gras, secrétaire d’État aux affaires intérieures. «Nous sommes conscients que lors de la surveillance d’une frontière aussi longue, des défaillances individuelles peuvent toujours se produire, mais dès le premier jour où nous avons été confrontés à des accusations, nous avons commencé à prendre toutes les mesures pertinentes, et aujourd’hui je pense que la Croatie est l’un des États membres qui peut servir d’exemple à d’autres.»

Selon l’agence Frontex, près de 140’000 personnes ont emprunté la route des Balkans entre janvier et novembre 2021, ce qui en fait la principale voie d’accès illégale vers la zone Schengen.

Le reportage sur le site de la Tribune de Genève.

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