Élections en Serbie : Le président Vucic est sommé par l’UE de choisir son camp

« Paix, stabilité, Vucic », le slogan du parti au pouvoir en Serbie @ LS

La Tribune de Genève – 31.03.2022 – Article

Alliée traditionnelle de la Russie et candidate à l’UE, la Serbie se montre proche de Moscou dans le conflit ukrainien. Le président-candidat Aleksandar Vucic cajole une opinion très anti-OTAN.

C’est une des attractions touristiques du centre de Belgrade. Visiteurs locaux et étrangers s’arrêtent pour des selfies devant les ruines du Ministère de la défense, éventré par les bombardements de l’OTAN au printemps 1999. L’intervention avait pour but de mettre fin aux exactions de l’armée serbe contre la population albanaise au Kosovo.

«J’étais en train de marcher quand les bombes sont tombées ici», montre Branko, un ancien ingénieur de 83 ans, près d’un autre site de la capitale touché par les frappes. «J’ai aidé les gens à sortir des décombres. C’était effrayant, il ne faut pas que ça se reproduise.»

Alors que les bombes russes pleuvent sur l’Ukraine, une majorité des 7 millions de Serbes perçoivent avant tout le conflit à l’aune de leurs propres traumatismes. «L’OTAN défend ses intérêts en manipulant les médias, mais aussi les populations et certains États», juge ainsi Zoran, un physiothérapeute de 28 ans. «Les bombardements de 1999 ont été décidés de façon illégale, puisque la décision a été prise sans l’avis du Conseil de sécurité de l’ONU.»

Un peu partout en Serbie, le souvenir des 78 jours de l’intervention de l’Alliance atlantique et des sanctions économiques qui ont isolé le pays alimente un certain ressentiment envers l’Occident. «L’OTAN, Bill Clinton et Tony Blair: criminels de guerre», clame ainsi cette banderole accrochée devant le siège du gouvernement.

Difficile équilibre

Également repris par le Kremlin ces dernières semaines, ces arguments sont un pilier de la rhétorique d’Aleksandar Vucic, spécialement lors des campagnes électorales. Le président-candidat a profité des commémorations marquant les 23 ans du début des bombardements, le 24 mars dernier, pour toucher la fibre patriotique. Sur la place des Guerriers-Serbes de Kraljevo, dans le centre du pays, il a dénoncé une «agression» contre «un petit pays qui n’avait fait de mal à personne».

L’ancien ministre de l’Information de Slobodan Milosevic a également apostrophé directement les 19 pays occidentaux qui ont participé aux frappes de 1999. «Nous ne nous agenouillerons ni ne mendierons jamais […] et nous n’oublierons jamais ce que vous avez fait à ce pays et à son peuple», a-t-il ainsi lancé à ses soutiens venus en bus.

«Russes et Ukrainiens, ce sont nos frères. Et quand vous avez deux frères qui se battent, vous ne pouvez pas dire qui a raison… Si les États-Unis ne s’en étaient pas mêlés, ça ne serait jamais arrivé.»

Depuis le début du conflit ukrainien, Aleksandar Vucic tente de maintenir un difficile équilibre entre les aspirations européennes affichées de son pays, candidat à l’Union européenne depuis 2012, et la traditionnelle «fraternité slave» avec la Russie.

Si la Serbie a finalement soutenu la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies condamnant l’agression de l’Ukraine, elle n’a pas rejoint les sanctions européennes contre Moscou. Vucic vante plutôt un non-alignement qu’il présente comme un gage de paix et de stabilité. «Cette position est la bonne», approuve Branko. «Russes et Ukrainiens, ce sont nos frères. Et quand vous avez deux frères qui se battent, vous ne pouvez pas dire qui a raison… Si les États-Unis ne s’en étaient pas mêlés, ça ne serait jamais arrivé.»

Double jeu serbe

Alors que les pays européens ont affiché leur solidarité avec le peuple ukrainien, la Serbie est le seul pays du continent où l’extrême droite serbe a manifesté en nombre en faveur de la guerre de Poutine. Ses prises de position aux relents complotistes se déploient dans la société, avec une certaine complicité des autorités. «Depuis l’arrivée de Vucic au pouvoir, en 2012, tous les médias qui sont contrôlés par son parti n’ont cessé de répandre cette propagande antioccidentale, avec des répercussions sur l’opinion publique», explique le politologue Srdjan Cvijic.

Le 22 février, «Informer», un des principaux tabloïds du pays, était allé jusqu’à titrer: «L’Ukraine attaque la Russie». Des mensonges qui insupportent de nombreux citoyens. «Tout est tellement pro-Poutine, j’aimerais que cette couverture médiatique change pour que les gens comprennent ce qui se passe réellement en Ukraine», se désole ainsi Ivana, une traductrice de 43 ans qui distribue des tracts contre la guerre dans le centre de Belgrade. «Nous qui, dans les Balkans, avons subi les horreurs de la guerre dans les années 1990, on devrait faire preuve de bien plus d’empathie pour une autre nation européenne.»

Alors que les pressions européennes s’intensifient, le président serbe sera-t-il contraint de choisir son camp, après les élections de dimanche pour lesquelles son Parti progressiste (SNS) est donné gagnant? Le choix est délicat, puisque la Serbie dépend notamment du gaz russe, mais aussi du soutien diplomatique de Moscou à l’ONU sur la sensible question du Kosovo.

«Il est temps que la Serbie cesse de jouer ce double jeu et qu’elle s’oriente sur son pilier stratégique qui est de devenir membre de l’UE, tranche l’analyste Srdjan Cvijic. Ça veut dire s’aligner avec les sanctions européennes en espérant que l’UE contrebalancera le coût économique de cet alignement.»

Le reportage sur le site de La Tribune de Genève (abonnés).

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