La Tribune de Genève – 17.10.2021 – Article
Dépendante de ses centrales très polluantes, la Serbie refuse d’amorcer sa transition énergétique, malgré ses engagements pour le climat qu’elle viendra défendre à la COP26.
Avec leurs mille nuances de gris, les mines à ciel ouvert de Kolubara évoquent des paysages lunaires. Dans cette vallée du centre de la Serbie située à 1 heure de route de Belgrade, les bruyantes machines d’extraction sont voraces. Leur faim de lignite, un charbon de qualité médiocre, semble sans limite et les villages comme les terres cultivables sont régulièrement réduits en poussière, victimes de l’extension des mines. «Dans la région, 80 % des gens dépendent de l’exploitation du charbon», explique Miodrag Rankovic qui a débuté au complexe minier de Kolubara en 1981. «Nos centrales et notre charbon assurent l’indépendance énergétique de la Serbie : le lignite couvre 70 % de notre électricité.»
Des rues propres et fleuries, des écoles et des stades de foot en grand nombre, etc. À Lazarevac, la plus grande ville de la région, les infrastructures témoignent d’une relative aisance qui détonne dans la province serbe. Un confort bâti sur l’exploitation des immenses réserves de lignite estimées à 4 milliards de tonnes, mais dont le coût est bien visible : les cheminées des centrales crachent leurs fumées grises à seulement quelques mètres des habitations. Pourtant ici personne ne s’offusque de l’odeur âcre du charbon. Tout le monde connaît quelqu’un qui travaille pour EPS, la compagnie publique d’électricité. «Certains disent que notre énergie est sale. Bien sûr, ce n’est pas la plus propre», concède Rankovic qui est aussi le Président du syndicat des mineurs chez EPS. «Mais dans mon enfance, la neige était noire à cause des poussières de charbon. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas grâce aux nouveaux filtres.»
Si à Kolubara, on vante avec insistance les investissements réalisés dans les centrales construites à l’époque de la Yougoslavie socialiste, c’est que le charbon des Balkans occidentaux est de plus en plus critiqué pour son impact sur la santé humaine. Selon une étude publiée fin 2019 par l’ONG Bankwatch CEE, 16 centrales balkaniques émettent ainsi autant de dioxyde de souffre (SO2) que l’ensemble des 250 centrales au charbon de l’Union européenne. Dans le top dix des plus polluantes, quatre se trouvent en Serbie. Le pays détiendrait ainsi le triste record européen du nombre de morts par habitant causées par la pollution. Alors que la capitale serbe se retrouve chaque hiver plongée dans un smog irrespirable, les Belgradois manifestent régulièrement pour dénoncer l’incurie des autorités.
Malgré la signature de nombreux traités internationaux et ses ambitions affichées pour une décarbonation de son économie d’ici 2050, la Serbie ne tient pas ses engagements pour le climat. En 2020, ces centrales ont émis plus de 330 000 tonnes de SO2, soit six fois plus que la limite autorisée. «Malheureusement, il n’existe aucun plan pour réduire ces émissions. Nous avons plusieurs fois saisi l’inspection, mais ils ont répondu qu’ils ne pouvaient rien faire», déplore Hristina Vojvodić, de l’ONG RERI qui promeut les énergies renouvelables. «Depuis 2006, nous sommes au courant de ces enjeux liés à la transition énergétique, et pourtant rien n’a été fait. Les autorités tiennent un double discours qui est intenable sur le long terme : le premier dirigé vers la société serbe et l’autre vers les acteurs étrangers.»
Habitué des positions d’équilibristes sur la scène diplomatique, le président serbe, Aleksandar Vucic joue ainsi un difficile numéro d’acrobate sur la question énergétique, entre ses financeurs européens et son électorat nationaliste. Alors que l’intégration à l’UE est toujours l’un des objectifs stratégiques de la Serbie, cet ancien ministre de Slobodan Milosevic a ainsi comparé cet été les mobilisations écologistes dans son pays à un «Djihad du pacte vert», en référence au nouvel agenda climatique de l’UE. Face à la flambée actuelle des prix de l’énergie, il a réitéré son soutien au charbon. «Nous devons augmenter la part des renouvelables, mais la situation actuelle démontre que notre décision de ne pas fermer les mines était intelligente», s’est-il ainsi félicité la semaine dernière. «Nous ne détruirons pas Kolubara ni Kostolac [Ndlr. Le nom d’un autre complexe minier du pays].»
À quelques mois des élections présidentielle et législatives, ce discours a dû contenter les milliers de gueules noires de Kolubara qui sont vent debout contre la transition énergétique. «Il y a un lobby économique très puissant qui veut nous rendre dépendants avec ces énergies vertes», dénonce ainsi le syndicaliste-mineur Miodrag Rankovic. «Dans le passé, nous avons enduré beaucoup de choses : l’inflation, le manque des produits de première nécessité, les bombardements, mais nous avons toujours pu compter sur notre production alimentaire et surtout notre électricité.»
Dans quelques jours, la Serbie participera à la COP26 à Glasgow. Elle renouvellera ses engagements pour une baisse des émissions de gaz à effet de serre et devrait y annoncer de nouvelles initiatives. Mais sur le terrain ces promesses n’ont pour l’heure aucun effet concret. Les mines de Kolubara ne fermeront pas de sitôt.
Le reportage sur le site de La Tribune de Genève (sur abonnement).