Macédoine du Nord : participer à l’Euro, c’est déjà une victoire

Aleksandar Talesk et ses amis fêtent le premier match de la Macédoine du Nord, Bitola @ LS

Libération – 13.06.2021 – Article

Petit poucet de cet Euro, la Macédoine du Nord fait ses premiers pas en compétition internationale ce dimanche contre l’Autriche. L’occasion pour ce pays à l’histoire complexe de dépasser les divisions ethniques et d’affirmer son identité singulière face à ses voisins des Balkans.

Un but décisif de leur légendaire capitaine, Goran Pandev inscrit en Géorgie, et les «Rouge et Jaune» se sont invités dans la cour des grands. En se qualifiant pour l’Euro, la Macédoine du Nord a déjà écrit le chapitre sportif le plus important de sa jeune histoire. «C’est le plus gros événement de notre histoire dans un sport collectif ! C’est un énorme succès, s’enthousiasme Miki Milenkovski, un supporteur de 43 ans habitué des gradins du stade de Skopje, la capitale. La force de notre équipe, c’est que les joueurs jouent ensemble depuis de nombreuses années. Ils sont vraiment unis et ils jouent pour une seule équipe : la Macédoine.»

Combatifs et solidaires, les Macédoniens pourraient déjouer les pronostics. En témoigne leur retentissante victoire fin mars 2-1 en Allemagne dans le cadre des qualifications pour le Mondial qatari. Au centre de l’exploit, fêté dans les rues de Skopje malgré les restrictions sanitaires, le trio Pandev, Bardhi, Elmas. Trois noms qui racontent à eux seuls l’histoire de cet Etat méconnu, encore en construction. «Dans l’équipe, il y a des Macédoniens, des Albanais, des Turcs, commente Miki. La nationalité des joueurs n’est pas importante. L’équipe nationale crée de l’unité.» Pays de 2 millions d’habitants niché au cœur de la péninsule balkanique, la Macédoine du Nord de 2021 s’accroche tant bien que mal à son identité multiethnique léguée par l’histoire. Aux côtés de la majorité slave macédonienne orthodoxe vit une importante communauté albanophone musulmane, ainsi que des Roms et des Serbes.

Occupation ottomane et influences régionales

Horrifiés par l’idéologie du nettoyage ethnique qui a saigné la Bosnie, les Macédoniens sont fiers de s’être extirpés sans violence du bourbier naissant, en déclarant leur indépendance de la Yougoslavie en 1991. Depuis, la plupart des dirigeants politiques ont joué les équilibristes pour faire flotter le drapeau du «soleil de la liberté» et préserver une République somme toute fragile. L’actuel système politique tente ainsi de refléter une société diversifiée, profondément marquée par cinq siècles d’occupation ottomane mais aussi par les influences régionales. «La Macédoine a une histoire unique car elle a réussi à développer une vision multiethnique de la société, explique Simonida Kacarska, directrice de l’Institut de politiques européennes de Skopje. Une vision qui est, si l’on regarde la situation ailleurs en Europe, véritablement extraordinaire. Le pays essaie autant que possible de donner aux communautés non majoritaires la possibilité d’utiliser leur langue maternelle.»

Les « ultras » du Shkëndija, club albanais, sont divisés sur le soutien à l’équipe nationale @ LS

Cette vision multiethnique, les gouvernants macédoniens furent tout de même quelque peu forcés de l’adopter. Si les violences du conflit yougoslave ont épargné le pays dans les années 90, la guerre du Kosovo toute proche a fini par le toucher en 2001, avec «l’insurrection albanaise», également appelée «guerre civile» par de nombreux Macédoniens. Les huit mois de conflit entre l’Armée de libération nationale (UCK) albanophone et l’armée macédonienne firent autour de 200 victimes. Ils prirent fin avec les accords d’Ohrid qui accordèrent des droits nouveaux à une communauté albanaise alors assez marginalisée, représentant un quart de la population du pays. Vingt ans plus tard, malgré la reconnaissance de l’albanais comme langue officielle et la présence d’Albanais au sein de l’administration et même du gouvernement, nombre d’entre eux peinent à se sentir citoyens à part entière en Macédoine du Nord.

«Mon équipe, c’est l’Albanie»

A Tetovo, comme dans le reste de la Macédoine du Nord occidentale, c’est l’aigle noir bicéphale albanais qui suscite un sentiment national. Chez les ultras du Shkëndija, le club local, vainqueur du championnat cette année, l’accueil de la participation de l’équipe macédonienne à l’Euro est plutôt mitigé. «Moi, je ne regarderai pas les matchs de la Macédoine du Nord, cette équipe me laisse indifférent, assure Arbin Avdulaj, 25 ans, qui enchaîne les cigarettes dans le café du club. Mon équipe, c’est celle de l’Albanie. C’est les grandes puissances et le traité de Londres de 1913 qui nous ont laissés hors de nos frontières naturelles albanaises.»

Au-delà du sport, les enjeux ethniques et politiques infusent toute la société, à l’image de l’administration. Ainsi cela fait vingt ans que la Macédoine du Nord n’a pas recensé sa population, et personne ne sait exactement combien d’habitants compte le pays… Prévue au printemps 2021, la procédure qui n’est qu’une simple formalité a de nouveau été reportée à l’automne, officiellement en raison de la pandémie. «Jusqu’à récemment, nous étions les seuls avec la Bosnie et la Somalie à ne pas être capables de recenser notre population, mais aujourd’hui, il n’y a plus que nous, ironise la politologue Simonida Kacarska. Beaucoup de droits économiques et politiques sont liés à un seuil de représentation de 20 % donc le recensement a toujours été l’objet de luttes politiques pour ces raisons ethniques, mais aussi à cause du rapport de force entre le gouvernement et l’opposition.»

L’intégration à l’Union européenne reste lointaine

Plus que le risque de tensions ethniques à l’intérieur de ses frontières, la petite Macédoine du Nord doit surtout composer avec les surenchères nationalistes de ses voisins grecs et bulgares, plus puissants et, surtout, déjà membres de l’Union européenne. Les différends historiques sur l’origine et l’usage du terme «Macédoine» ont condamné le pays à s’habituer à leur veto et à patienter dans l’antichambre de l’UE… depuis plus de quinze ans. L’arrivée à la tête du pays du Premier ministre Zoran Zaev, un réformateur social-démocrate pro-occidental en 2017, a permis de trouver une issue à la fameuse «question du nom». Après vingt-cinq ans d’opposition grecque, Zaev et son homologue d’alors, Aléxis Tsípras, ont signé en 2018 un accord historique et le pays est officiellement devenu la «Macédoine du Nord». Un changement vécu comme une concession et une humiliation par de nombreux Macédoniens. D’autant plus que, malgré les promesses, l’intégration à l’Union européenne reste lointaine.

«Moi, j’ai voté pour ce changement de nom lors du référendum de 2018, raconte las Dragan Arsovski, un jeune biologiste de Skopje, car je voulais mettre fin à cette situation stupide : je n’avais jamais connu de nom officiel pour mon pays ! Mais après, il y a eu le veto français, puis bulgare [à des négociations d’adhésion à l’UE], c’était vraiment déprimant.» Le «non» opposé dès octobre 2019 par Emmanuel Macron à l’ouverture de ces négociations avec la Macédoine du Nord a fait l’effet d’un tremblement de terre dans la région. «Erreur historique», selon les diplomates de Bruxelles, cette nouvelle mauvaise lecture des Balkans par les gouvernants français y a considérablement terni l’image de l’Union européenne, affaibli les principes démocratiques et ouvert un peu plus la porte économique aux acteurs turcs, chinois ou arabes. Et depuis, le pays s’est donc retrouvé bloqué par un nouveau veto, celui de Sofia. En proie à une crise sociale inédite, le gouvernement bulgare a ressorti une vieille querelle autour de l’histoire et de la langue macédonienne pour mobiliser sa base nationaliste et donner une fin de non-recevoir à Skopje.

Cet enlisement du processus européen, cumulé avec le fonctionnement clientéliste du marché du travail local, crée un profond ressentiment chez les jeunes Macédoniens. Ils seraient plus de 500 000 à avoir émigré ces quinze dernières années, soit le quart de la population du pays. Dans ce contexte maussade, la qualification de l’équipe nationale à cet Euro représente une réelle bouffée d’air pour de nombreux Macédoniens. «Nous n’avons pas de problème avec nos voisins bulgares, grecs ou serbes, tout ça c’est à cause des décideurs politiques», assure beau joueur Miki, le fan de Skopje qui se prépare à aller soutenir ce dimanche à 18 heures les «Rouge et Jaune» contre l’Autriche à Bucarest. Et de finir par tancer malgré tout : «Mais aujourd’hui, aucun de nos voisins n’est présent à cet Euro, c’est déjà une belle revanche.»

Le reportage sur le site de Libération.

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