Kosovo-Serbie : les disparus au cœur du bras de fer politique

Affiche célébrant l’Armée de libération du Kosovo, centre de Skenderaj au Kosovo @ LS

Libération – 10.12.2020 – Article

Vingt ans après la fin de guerre, les relations entre les deux États, qui se retrouvent jeudi pour un round de négociation sous l’égide de l’Union européenne, restent marquées par le ressentiment, les reproches et les demandes de justice.

C’est une mine qui n’existe pas, ou presque. Aucun panneau ne pointe vers les entailles de Kizevak, oubliées dans les forêts de chênes de Raska, dans le sud-ouest de la Serbie. A un jet de pierre, au tournant des collines qui enveloppent la rivière Ibar, se dessine la toujours disputée frontière du Kosovo.

Le conflit militaire, qui a opposé la Serbie à son ancienne province albanophone, s’est terminé il y a plus de vingt ans, mais de nombreux secrets restent ensevelis dans la région. Depuis dix jours, des tractopelles et des spécialistes en combinaison blanche s’affairent à rouvrir les tranchées de la mine de Kizevak. Leur but : identifier des restes humains, récemment exhumés. Vingt ans après la guerre, la question des disparus complique le poussif dialogue visant à normaliser les relations entre le Kosovo et la Serbie, qui reprend jeudi à Bruxelles, sous l’égide de l’Union européenne.

Après des années de recherches, c’est grâce à des images satellites transmises par le département d’Etat américain que la fosse de Kizevak a été localisée. Ce n’est pas une première pour le groupe de travail serbo-kosovar mis en place en 2004 et piloté par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). «C’est le cinquième charnier découvert sur le territoire serbe avec des corps de civils albanais, tués et massacrés principalement après mars 1999, commente Ibrahim Makolli, responsable de la question des disparus pour le Kosovo. Une période au cours de laquelle l’Etat serbe a exhumé et transporté des centaines de corps albanais vers des fosses communes sur son territoire afin de cacher les traces des crimes du génocide.»

De Sarajevo à Pristina, les fantômes de quelque 12 000 disparus hantent toujours les sociétés de l’ex-Yougoslavie. Ils alimentent, bien malgré eux, les tensions et les rancœurs. Au Kosovo, 1 643 personnes sont toujours portées disparues, dont plus de 1 000 Albanais et 570 Serbes et membres d’autres minorités.

Depuis 2001 et l’expertise de nombreuses organisations internationales, les restes de plus de 900 Albanais ont été retrouvés sur le territoire serbe. Un nombre qui témoigne de «l’engagement complet et de la transparence» des autorités serbes sur ce sujet, selon Veljko Odalovic, président de la Commission serbe pour les personnes disparues. «Nous avons remis plus de 2 500 documents à la délégation de Pristina, grâce auxquels les restes d’un grand nombre d’Albanais ont été exhumés, identifiés et remis à leurs familles, assure-t-il. La délégation de Pristina n’a quant à elle fourni aucune information indiquant un éventuel charnier dans lequel les restes de Serbes et de non-Albanais tués auraient été enterrés.»

Bataille de mémoires

Les disparus du Kosovo se retrouvent au cœur du bras de fer diplomatique engagé entre Belgrade et Pristina, qui s’accusent mutuellement de mauvaise volonté dans ce dossier sensible. Pristina a fait de la résolution de ce dossier un élément clé des difficiles négociations de normalisation menées aujourd’hui sous l’égide de l’UE. Et la bataille de mémoires se mêle à des désirs de justice antagonistes.

Côté kosovar, on s’indigne qu’aucun ancien dirigeant serbe n’ait été pour l’instant condamné en Serbie pour les massacres perpétrés au Kosovo après l’intervention de l’Otan, au printemps 1999. Seul le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a condamné l’ancien général Vlastimir Djordjevic à dix-huit ans de prison, reconnu coupable de «crimes de guerre» et de «crimes contre l’humanité».

«L’Etat serbe n’a pas montré la volonté politique pour fournir des informations ni donner accès aux archives militaires, ce qui permettrait l’identification [de nouvelles fosses communes, ndlr], dénonce Ibrahim Makolli. Au contraire, le délai d’accès aux documents classifiés a été prolongé. Cela témoigne des efforts de la Serbie pour dissimuler des informations sur les crimes commis à l’époque.»

Côté serbe, on réfute ces accusations et on salue l’actuel procès des anciens dirigeants de l’Armée de libération du Kosovo (UCK), dont l’ex-Président, Hashim Thaçi. «Nous attendons beaucoup de l’enquête menée par le bureau du procureur spécialisé pour les crimes commis par l’UCK, ainsi que des procédures judiciaires déjà engagées devant cette cour», se réjouit ainsi Veljko Odalovic. Les anciens dirigeants de la guérilla albanaise sont inculpés de crimes commis contre des Serbes, des Roms, mais aussi des opposants politiques albanais.

Dans l’ombre de ces âpres luttes politiques, des milliers de familles attendent toujours de pouvoir faire leur deuil. Albanaises, comme Serbes, elles regardent avec douleur les portraits d’un mari, d’un fils ou d’un frère, disparus il y a vingt ans.

L’article sur le site de Libération.

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