
Le Soir – 04.12.2020 – Article
Première alternance historique au Monténégro où un nouveau gouvernement vient de prendre ses fonctions. Après plus de trois décennies à la tête de ce petit pays des Balkans, le parti du président Milo Djukanovic est rejeté dans l’opposition.
Trois mois, c’est le temps qu’il a fallu à l’hétéroclite opposition monténégrine pour former un gouvernement. Les divergences ne l’ont pas emporté car l’occasion était historique : mettre fin à 30 ans de règne du président Milo Djukanovic, l’homme fort de la « montagne noire ». Dans les Balkans, le résultat des élections législatives du 30 août dernier a eu l’effet d’un coup de tonnerre. Malgré sa mainmise sur ce petit pays de l’Adriatique, le Parti démocratique socialiste (DPS) de Djukanovic a été rejeté dans l’opposition par les 413.000 électeurs.
Dirigeant autoritaire issu des arcanes de l’ancien parti communiste yougoslave, Milo Djukanovic a habilement su jouer des retournements d’alliances afin de tenir les rênes du Monténégro, depuis… 1991. Une longévité unique en Europe, plus discrète que celle d’un certain Alexandre Loukachenko.
Reconverti en pro-européen
Allié de Slobodan Milosevic lors de l’implosion sanglante de la Yougoslavie dans les années 90, Djukanovic s’est ensuite reconverti en pro-européen convaincu. En opposition de plus en plus frontale avec la Serbie, il a mené le Monténégro à l’indépendance en 2006 avant de finaliser son adhésion à l’Otan en 2017. Les accusations de liens avec le crime organisé et de trafics de cigarette à grande échelle n’ont cessé de jalonner la carrière du « clan Djukavovic » qui aurait amassé une fortune colossale.
Le Monténégro n’était ainsi plus considéré comme une démocratie mais comme un « régime hybride » par l’ONG américaine Freedom House, qui dénonçait en mai dernier les abus de pouvoir et la capture des ressources de l’État. Malgré ce bilan peu flatteur pour la démocratie et les droits humains, le Monténégro de Djukanovic était souvent loué pour sa stabilité et présenté par les diplomates de l’UE comme le meilleur élève des candidats à l’intégration.
Inégalités et tensions sociales
Derrière l’image de paradis pour touristes aisés, promue par les autorités, les inégalités n’ont cessé de s’aggraver ces dernières années, et, avec elles, les tensions sociales. Deux hivers de manifestations d’une ampleur inédite ont secoué le pays en 2019 et en 2020. Si les premières dénonçaient un énième scandale de corruption, les plus récentes ont marqué le retour des questions identitaires et divisé encore un peu plus une société monténégrine multi-ethnique. La très puissante Eglise orthodoxe serbe a mobilisé les foules contre un article de loi visant à nationaliser certains édifices religieux. Une nouvelle vague de mécontentement sur laquelle ont surfé la droite pro-serbe et son chef, Zdravko Krivokapic, lors des législatives de fin août.
Avec 41 députés sur 81, le désormais Premier ministre Krivokapic est à la tête d’une majorité fragile, composée de trois partis aux aspirations contradictoires, avant tout réunis par leur ligne anticorruption. Un accord de gouvernement a été trouvé quelques jours après le scrutin, réaffirmant la ligne pro-UE et pro-Otan du pays. « Nous devons mettre au premier plan l’économie, la lutte contre le covid-19, ainsi que le véritable État de droit, nous devons abandonner la politique précédente et nous tourner vers la prospérité et le bien-être du Monténégro », a résumé le nouveau Premier ministre lors de sa prise de fonctions ce mercredi. Alors que le tourisme pèse près de 20 % du PIB, les conséquences économiques désastreuses de la pandémie ne devraient pas faciliter « l’opération mains propres » voulue par la nouvelle majorité monténégrine.
L’article sur le site de Le Soir.