L’Italie, terre de braconnage massif des oiseaux

Vol de mouettes @ LS

Libération – 23.10.2020 – Article

Avec près de six millions d’oiseaux tués chaque année, l’Italie est le plus mauvais élève du continent européen en matière de chasse illégale. Des brigades conjointes de naturalistes et de carabiniers ont été mises en place pour lutter contre le phénomène.

Des merles pendus à des fils de fer, des cigognes atrophiées par des pièges à mâchoires, des rouges-gorges agonisant englués sur une branchette… Chaque automne, les images qui parviennent des campagnes italiennes témoignent du massacre. Capturés pour servir d’appâts, abattus pour être revenus à la poêle en secondo piatto (deuxième plat) ou simplement pour perpétuer la tradizione, des millions d’oiseaux sont victimes de la chasse illégale, et parmi eux, de nombreuses espèces protégées. Selon un rapport de l’ONG Birdlife International, environ 5,6 millions d’oiseaux seraient tués chaque année dans la péninsule, un record européen.

Du detla du Po au littoral napolitain, en passant par les Préalpes lombardes et la côte méridionale sarde, le tir aux oiseaux résonne sur une grande partie du territoire italien. Certains n’hésitent pas à parler de sport national. «Il y a d’abord une dimension culturelle, explique Giovanni Albarella, le responsable de la section romaine de la Ligue italienne de protection des oiseaux (Lipu). Pour une grande partie des habitants de régions isolées comme les montagnes ou les îles, les oiseaux migrateurs étaient autrefois l’unique source disponible en protéines. Ensuite, géographiquement, l’Italie représente un pont vers l’Afrique pour ces volatiles, et à certaines périodes, il y a une très forte concentration d’oiseaux, introuvables le reste de l’année.» Le survol automnal de la botte s’apparente à un véritable parcours du combattant pour les espèces en route vers leurs quartiers d’hiver.

Des appeaux problématiques

S’il est parfois sous le contrôle direct du crime organisé comme dans les Pouilles, le braconnage que dénonce la Lipu dans une pétition, se fait plus souvent discret et technique, loin des clichés du braconnier hors-la-loi. «Il y a des formes de braconnage qui sont indiscutables comme quand on capture des oiseaux grâce à des filets ou des pièges, commente Giovanni Albarella. Mais il existe aussi des formes de braconnage plus dissimulées, qui sont pratiquées par des personnes possédant un permis de chasse, mais qui utilisent leur fusil de façon illégale. C’est là que le chasseur devient un braconnier.» Un plan d’action national contre le braconnage a bien été adopté en 2017 par le gouvernement italien mais dans la pratique ses effets restent faibles. Dans le viseur des écologistes : les appelants utilisés par les chasseurs pour attirer les oiseaux.

Cachés dans les bosquets de la campagne romaine, les bénévoles de la Lipu tendent l’oreille dès les premières lueurs de l’aube. Au milieu des coups de fusil, leur attention se porte sur des chants de grives un peu trop réguliers. Sophistiqués, les appeaux électroniques peuvent reproduire le chant de dizaines d’espèces. Ils perturbent les oiseaux dans leur migration. «C’est surtout à cause de l’utilisation de ces appeaux électromagnétiques que le braconnage reste un problème, déplore Patrizia Battistini bénévole depuis plus de vingt ans à la Lipu. La présence de l’avifaune ne cesse de baisser et pourtant les chasseurs continuent d’utiliser ces objets pour chasser.» Si ces appareils sont en vente libre sur Internet, leur usage pour la chasse est strictement interdit en France comme en Italie.

Désintérêt des jeunes Italiens

Des applications proposent aujourd’hui les mêmes services, compliquant encore un peu plus la surveillance des gardes forestiers. Le problème est tel que, depuis plusieurs années, des équipes de carabiniers accompagnent les volontaires de la Lipu pour arpenter les zones boisées du littoral et prendre sur le fait les chasseurs peu scrupuleux. Face à l’augmentation des contrôles et au durcissement de la législation dans leur pays, certains braconniers italiens n’hésitent pas à traverser l’Adriatique pour tirer à leur guise dans les forêts des Balkans, où, contre quelques billets, les autorités fermeraient l’œil.

Lueur d’espoir pour les volatiles, sur le long terme, le braconnage en Italie devrait progressivement devenir une moindre menace pour les oiseaux européens. La chasse n’attire pas les jeunes Italiens et la population de chasseurs ne cesse de diminuer. Pour Raffael Ayé, responsable de BirdLife Suisse, la protection des oiseaux migrateurs ne doit d’ailleurs pas se cantonner à la lutte contre le braconnage dans le sud de l’Europe. «25 millions d’oiseaux sont braconnés chaque année sur le pourtour méditerranéen, résume-t-il. C’est un nombre gigantesque et on ne peut pas nier son impact sur les effectifs de plusieurs espèces d’oiseaux.»

Le problème est, en plus, exacerbé par des pratiques de culture comme l’usage d’insecticides qui privent de nourriture certains oiseaux. «La mauvaise politique agricole en Europe a un impact encore plus dommageable que le braconnage sur les populations d’oiseaux, reprend Raffael Ayé. Les pays d’Europe centrale et d’Europe du Nord ont aussi du pain sur la planche.» Ainsi la huppe fasciée, oiseau symbolique de la vie rurale, disparaît peu à peu des campagnes européennes, transformées trop souvent en gigantesques champs sans bourdonnement.

L’article original sur Libération.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s