
Libération – 02.04.2020 – Article
Le nouveau gouvernement a chuté la semaine dernière. En toile de fond : la diplomatie américaine de Trump, qui veut obtenir un accord rapide entre Belgrade et Pristina.
Il savait que la partie ne serait pas facile, mais il ne l’avait sûrement pas imaginée aussi corsée. Arrivé en tête des élections législatives kosovares du 6 octobre, le dirigeant du parti souverainiste de gauche, Vetevendosje (Autodétermination), Albin Kurti, est embarqué dans une infernale course d’obstacles pour redonner de l’espoir à la jeunesse de ce pays de 1,8 million d’habitants, miné par la corruption et le clientélisme. Le bras de fer engagé avec le Président Hashim Thaçi, qui domine la vie politique du pays depuis vingt ans, paraît bien déséquilibré.
En pleine pandémie de Covid-19, les deux hommes se sont opposés sur les mesures à prendre pour lutter contre le virus, faisant éclater la coalition gouvernementale. Après le limogeage par Kurti du ministre de l’Intérieur, venu des rangs de la Ligue démocratique du Kosovo (LDK), ce partenaire de coalition a déposé une motion de censure. Avec à la clé, un nouveau record historique pour le Kosovo, où aucun gouvernement n’est arrivé au bout de son mandat depuis l’indépendance en 2008 : la chute du gouvernement mercredi 25 mars, 51 jours seulement après sa prise de fonctions.
Derrière la crise sanitaire en expansion, la pression était montée sur l’exécutif ces dernières semaines, Kurti refusant de lever sans conditions la taxe de 100% imposée aux produits serbes par son prédécesseur. Celle-ci visait à riposter à la campagne diplomatique menée par les autorités serbes contre l’indépendance de son ancienne province. Appliquée depuis 2018, cette taxation a plombé les négociations entre Belgrade et Pristina. La détermination du nouveau Premier ministre a cette fois irrité la diplomatie américaine, qui fait la pluie et le beau temps au Kosovo. Dans la perspective de la présidentielle, l’envoyé spécial de Donald Trump, Richard Grenell, s’active en effet pour obtenir à tout prix un accord rapide entre Serbes et Kosovars, au grand dam des diplomates européens.
Un «plan secret»
Il faut dire que dans les plans de ce diplomate multicasquettes, la souveraineté populaire chère à Albin Kurti dérange. Richard Grenell, qui est aussi ambassadeur à Berlin et vient d’être nommé par Trump directeur du renseignement national (DNI), a choisi ses interlocuteurs : les présidents serbe et kosovar. Mis hors-jeu, le Premier ministre Albin Kurti a dénoncé un «plan secret» qu’avaient conclu Aleksandar Vucic, l’ancien ministre de l’Information de Slobodan Milosevic, et Hashim Thaçi, ancien dirigeant de l’Armée de libération du Kosovo (UCK), aboutissant à une dangereuse redéfinition des frontières du Kosovo.
Malgré le démenti rapide des diplomates américains, cette mainmise de Washington sur la destinée du pays en temps de pandémie mondiale choque les Kosovars. Alors que les premières inculpations par les Chambres spécialisées du Kosovo chargées de juger les crimes des anciens de l’UCK approchent, certains éditorialistes locaux ont également soutenu l’idée que Hashim Thaçi, qui pourrait être lui-même inculpé, aurait obtenu des garanties.
Tandis que la classe politique s’agite dans de nouvelles tractations, les citoyens kosovars se retrouvent dans l’incertitude face à l’expansion de la pandémie de Covid-19.
L’article original ici.