
Le Soir – 17.02.2020 – Article
Une conférence se déroule ce lundi à Bruxelles. La présidente de la Commission en appelle aux donateurs : un milliard d’euros sont nécessaires pour reconstruire ce pays frappé par un violent séisme fin novembre.
Comme tous les jours, Devi et ses amis tentent de calmer leurs angoisses en marchant autour d’un centre-ville dévasté. « La croix jaune, ça veut dire que c’est à réparer. Mais, d’après de ce que j’ai entendu, ce bâtiment-là, ils vont le détruire », raconte le jeune homme en montrant la carcasse d’un immeuble aux tuiles orange et aux briques blanches.
Autour d’eux s’étend un champ de ruines où se mêlent des vêtements, des jouets, des fleurs… Ici, Devi a vu périr l’un de ses amis, pris au piège sous les décombres de son immeuble. La petite ville de Thumanë, située à 35 kilomètres de Tirana, la capitale, a été durement frappée par le séisme de magnitude 6,3 du 26 novembre 2019 : 24 personnes y sont mortes dans l’effondrement de leur logement (sur un total de 51 victimes).
10.000 personnes sous tente
Un peu partout dans cette petite ville rurale, les sommets des tentes, distribuées en urgence, dépassent des murets. « Les gens ont trop peur de rentrer chez eux », explique Devi, les yeux rouges. « Même si leur maison a été jugée habitable par les experts, ils préfèrent encore rester dans les tentes. »
Sur les 17.000 personnes laissées sans-abri par la catastrophe, plus de 10.000 dorment toujours sous les tentes, selon le ministère pour la Reconstruction. Vieilles de 5 ou 50 ans, nombreuses sont les constructions qui ont révélé leurs insuffisances dans une région où l’activité sismique est élevée : au moins 80.000 bâtiments ont été endommagés.
Plus d’1 milliard d’euros, c’est ce que devrait coûter la reconstruction d’après un rapport mené conjointement par l’Union européenne, les Nations unies et la Banque mondiale. Soit l’équivalent de près de 7 % du PIB de l’Albanie, toujours l’une des économies les plus pauvres du continent.
À Tirana, on compte sur la générosité des donateurs potentiels pour aider le pays de 2,8 millions d’habitants à se remettre debout. Venues de Turquie, du Canada, de Chine, du Koweït ou d’Afrique du Sud, de nombreuses délégations devraient être présentes ce lundi à Bruxelles aux côtés des États membres de l’UE, et ajouter leur contribution aux 15 millions d’euros déjà promis début décembre par la Commission européenne.
Du côté de la Délégation de l’UE à Tirana, on veut se montrer optimiste. « Il est clair que la conférence ne sera pas en mesure de couvrir l’intégralité des coûts. L’objectif, c’est de rassembler une somme importante. Les indications vont dans le bon sens, il y a depuis le premier jour [de la catastrophe], une grande solidarité », affirme l’ambassadeur de l’UE en Albanie, Luigi Soreca.
Il faudra toutefois vaincre un certain scepticisme. Le pays souffre de sa mauvaise réputation quant à l’omniprésence de la corruption. En net recul dans le classement annuel de l’ONG Transparency International, l’Albanie se classe aujourd’hui 106e sur 180 pays.
« Il ne faut pas oublier que l’Albanie est membre du Conseil de l’Europe, des Nations unies, de l’OSCE », tente de rassurer l’ambassadeur. « Des mécanismes de financement existent dans ces institutions, nous discutons avec les autorités albanaises afin de les utiliser et garantir ainsi la transparence. »
97 % des Albanais pro-UE
Quelques semaines avant la tenue d’un nouveau Conseil européen, les diplomates tiennent à mettre l’accent sur le « symbole » que prend cette réunion à Bruxelles, voulue par le Premier ministre albanais. L’opposition de la France, du Danemark et des Pays-Bas à l’ouverture des négociations à l’automne dernier avait été particulièrement mal vécue en Albanie, pays où la population désespère d’accéder un jour à l’UE. « Dans notre dernier sondage, 97 % des Albanais avaient une opinion positive de l’UE », assure M. Soreca. « Un chiffre de rêve, difficile à trouver dans un pays membre de l’UE. »
Reconstruction d’écoles ou d’hôpitaux, l’UE devrait également participer à l’établissement d’un système durable de protection civile. À Thumanë, on s’impatiente de tourner la page. « Inch’Allah, ils vont faire quelque chose de beau de notre ville », espère Devi en fixant les décombres. « Parce que nous, on se sent abandonné avec nos traumatismes. » Le passif de l’urbanisation sauvage
L.S
Contraints à l’immobilité pendant 45 ans de dictature communiste, les Albanais ont massivement quitté leurs campagnes après l’effondrement du régime en 1991. Une soif de liberté qui a nourri l’urbanisation sauvage. Les grandes villes ont connu un développement chaotique, favorisé par le laxisme et la corruption des autorités, souvent au mépris des normes sismiques et géologiques. Des quartiers ont vu le jour sur des terrains impropres à la construction, sur la côte ou dans les anciens marais de Durrës et de Tirana, des zones durement frappées par le séisme. Les conflits de propriété pourraient aussi compliquer la reconstruction : la moitié des bâtiments ne seraient pas légaux. Les réseaux criminels sont très présents dans la construction et l’hôtellerie. Les autorités veulent endiguer ce phénomène via la réforme du système judiciaire, gangrené par la corruption.
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