Kosovo: «On attend un changement depuis tant d’années»

Dans le centre de Pristina @ LS
Dans le centre de Pristina @ LS

Le Soir – 05.10.2019 – Article

Onze ans après l’indépendance, l’heure n’est plus à la fête au Kosovo. Le pays est toujours le plus jeune d’Europe, avec une moyenne d’âge de 29 ans, mais aussi le plus pauvre. Et dans les rues de Pristina, le désenchantement est palpable.

Allongé dans l’herbe non loin des facultés encore désertes en cette fin septembre, Fisnek fait la grimace. Cet étudiant en art aux cheveux longs n’est pas sûr de se rendre aux urnes ce dimanche. «  Il faudrait aller voter pour obtenir ce changement qu’on attend depuis tant d’années », concède-t-il. « Vingt ans qu’on l’attend… Ce sont toujours les mêmes qui promettent le changement depuis la fin de la guerre, et c’est seulement mauvais. »

Corruption et népotisme

Sur le papier, la croissance économique de 4 % pourrait enthousiasmer certains économistes. Gonflé par l’argent de la diaspora et l’aide internationale, ce chiffre cache une bien triste réalité sociale. Un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté, le taux de chômage officiel est à 30 % et il atteint plus de 55 % chez les moins de 25 ans. « C’est difficile ici », résume Fisnek, « ce n’est pas qu’il n’y a pas de travail mais il paie peu. Les salaires sont souvent versés en retard et les montants ne correspondent pas au travail effectué. » 130 euros, c’est le niveau du salaire minimum. La faiblesse des rémunérations pousse les jeunes à tenter leur chance ailleurs.

Vingt après la guerre, la jeunesse kosovare ne croit plus aux promesses de lendemains qui chantent. Les jeunes diplômés s’étranglent plutôt des scandales de corruption et du népotisme généralisé. Peu après sa prise de fonctions en 2017, le Premier ministre, Ramush Haradinaj avait ainsi jugé urgent de doubler son salaire. Son gouvernement comptait alors pas moins de 76 vice-ministres dans un pays de moins de deux millions d’habitants. Sur l’artère piétonne de la capitale, Muhammed Veliu, 22 ans, veut convaincre les jeunes qu’ils peuvent changer les choses. « Dans notre pays ce qui compte », explique ce militant du parti de gauche, Vetëvendosje, « ce sont surtout les liens familiaux ou avec les partis politiques… Si tu n’as pas de proches pour t’aider, tu ne pourras jamais obtenir un poste dans l’administration. » Dans le classement 2018 de Transparency International, le Kosovo a régressé à la 93e place sur 180 pays.

Le combat des femmes

Mobiliser la jeunesse, c’est l’objectif de tous les partis politiques dont celui de Vjosa Osmani. Cette juriste a été désignée par le plus ancien parti albanais du pays, la Ligue Démocratique du Kosovo (LDK). À 37 ans, elle pourrait devenir la première femme élue au poste de Premier ministre. Étudiante en architecture, Trime est venue à l’un de ses meetings : « On attend de Vjosa du changement et qu’elle rétablisse la dignité de l’État », espère la jeune femme. « Elle doit faire en sorte que notre jeunesse puisse être en sécurité dans son propre pays. » Favorite des sondages, Vjosa Osmani pourrait, en cas d’alliance avec Vetëvendosje, mettre fin à la mainmise sur le pays du Parti démocratique (PDK).

Le changement, ils sont nombreux à l’attendre. Et notamment les femmes. Accès au travail, à l’éducation, à la santé ou à la propriété, la situation des Kosovares reste déplorable et loin des standards européens. Vullnet Krasniqi, militant de la société civile, dénonce les absurdités en matière d’égalité des genres. « En dehors de Pristina, la situation des femmes est tragique », affirme le jeune homme engagé. « 80 % d’entre elles n’ont pas d’emploi et en matière d’éducation ce n’est pas beaucoup mieux. Plus de 50 % n’ont pas les compétences scolaires requises pour chercher du travail. Et dans le même temps, des millions d’euros sont investis dans des programmes bureaucratiques pour les droits des femmes… »

Tourner la page du conflit

Chose inhabituelle lors des campagnes électorales, les candidats ont occulté la question des relations avec la Serbie. Signe que les priorités des jeunes du Kosovo sont ailleurs ? « Évidemment », répond Marija Perović. Cette énergique trentenaire habite la partie serbe de Mitrovica, une ville toujours divisée entre Serbes et Albanais. « La plupart des habitants veulent que les choses soient résolues », dit-elle en montrant les gens qui vont d’un côté et de l’autre du pont qui sépare les deux communautés. « Les politiciens sont les seuls qui retirent quelque chose de ce conflit et du fait de nous monter contre les autres. Mais je pense que les gens en ont ras-le-bol. Aucun Serbe, aucun Albanais n’est plus intéressé à se battre. »

Répondre aux attentes et aux problèmes du quotidien des Kosovars sera le principal défi du prochain gouvernement. Et il y a urgence : plus de 10 % de la population a quitté le pays ces cinq dernières années.

Les enjeux du scrutin

Près de deux millions de Kosovars sont appelés aux urnes ce dimanche pour désigner leurs 120 députés. Ces législatives font suite à la démission cet été du Premier ministre, Ramush Haradinaj, convoqué par les Chambres spécialisées de La Haye chargées de juger les crimes de guerre commis au Kosovo entre 1998 et 2000.

Le scrutin s’annonce indécis et relativement ouvert avec 25 listes en lice. Dans un contexte économique et social difficile, la campagne a été dominée par les questions de lutte contre la corruption, d’accès à la santé ou à l’éducation. L’un des enjeux majeurs sera de savoir si le Parti Démocratique du Kosovo (PDK) se maintiendra au pouvoir. Ce parti d’anciens chefs de l’Armée de libération du Kosovo (UÇK) domine le pays depuis la fin de la guerre. Il est régulièrement secoué par des scandales de corruption et soupçonné de liens avec le crime organisé.

Une coalition sera nécessaire pour gouverner. L’un des principaux défis du prochain exécutif sera la reprise du dialogue avec Belgrade qui, comme 97 États de l’ONU, ne reconnaît toujours pas l’indépendance de son ancienne province.

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