En Albanie, la rue contre la «corruption et le crime organisé»

Manifestation de l'opposition demandant le départ du Premier ministre albanais @ LS
Manifestation de l’opposition demandant le départ du Premier ministre albanais @ LS

Libération – 17.02.2019 – Article

Au moins 10 000 personnes ont manifesté samedi à Tirana à l’appel de l’opposition pour demander le départ du Premier ministre socialiste, Edi Rama.

L’image était belle, mais elle n’a pas duré. Devant les caméras des télévisions, des jeunes femmes offrent des fleurs aux policiers, sous les cœurs rouges de la Saint-Valentin. Puis, l’atmosphère s’est tendue alors qu’au moins 10 000 personnes se sont massées sur le principal boulevard de la capitale albanaise. Elles ont répondu à l’appel des partis de l’opposition de droite, qui demandent le départ du Premier ministre, Edi Rama. Ils accusent le chef du gouvernement d’être corrompu et d’entretenir des liens avec le crime organisé.

Emiljano, 36 ans, est venu d’une petite ville du nord de Tirana. «Moi, je fais vivre toute ma famille avec 140 euros par mois, s’indigne-t-il. Et on nous impose toujours plus de taxe ! Mais lui, il vit dans le luxe avec ses amis du crime organisé !»

Dans la foule, militante et très masculine, quelques pancartes sont brandies : «L’Albanie aux Albanais, pas aux oligarques», «Ceci est la fin du gouvernement des bandits». Le slogan «Rama, va-t-en !» résonne régulièrement.

Encre

A l’avant du cortège, des projectiles sont jetés en direction des forces de l’ordre. Malgré les appels au calme émis au mégaphone, des dizaines de manifestants réussissent facilement à forcer le cordon policier qui les sépare de la Primature, le siège du Premier ministre. A deux reprises, ils tentent d’enfoncer les portes du bâtiment. Quelques vitres sont brisées, mais les manifestants sont repoussés par des canons à eau et des tirs de gaz lacrymogène. La tension reste vive plusieurs heures. Au total, 19 personnes, dont 9 membres des forces de l’ordre et 2 journalistes, sont légèrement blessées.

Si les joutes verbales sont habituelles entre politiciens albanais, la tension était montée d’un cran ces derniers jours à l’approche de la manifestation. Edi Rama avait même été aspergé d’encre par le vice-président de l’Assemblée nationale, élu de l’opposition. La mobilisation de samedi n’a en tout cas rien d’un mouvement citoyen spontané, comme l’estime Ermal Hasimja, analyste politique : «L’opposition essaye de capitaliser sur le mécontentement croissant contre le gouvernement, dans un contexte de difficultés économiques et de scandales quasi quotidiens de corruption et d’abus.»

Elu pour la première fois en 2013 sur un programme de réduction des inégalités et de lutte contre la corruption, le socialiste Edi Rama n’a pas réussi à restaurer la confiance des citoyens dans leurs institutions. Malgré une réforme de la justice en cours, l’Albanie est désormais l’un des plus mauvais élèves européens, selon le dernier classement de Transparency International.

Pire, son parti est lui-même régulièrement accusé de liens avec le «crime organisé». Des soupçons récemment relancés par une enquête de Voice of America publiée fin janvier concernant les législatives de 2017, où le Parti socialiste a obtenu la majorité absolue. Ces soupçons d’achats de votes inquiètent l’opposition, alors que d’importantes élections locales sont prévues fin juin.

«Aveugle»

«L’opposition constate la difficulté de gagner des élections où l’achat de votes, le clientélisme et l’apathie de la population font rage, poursuit Ermal Hasimja. Il semble qu’une partie du Parti démocratique (PD), la principale force d’opposition, demande à être plus agressif contre le gouvernement. Cette pression risque d’augmenter au cours des mois à venir.»

En décembre déjà, et pendant plusieurs semaines, le pays a connu les plus importantes manifestations étudiantes de son histoire. Une mobilisation contre le coût des études et un système universitaire jugé inégalitaire par les étudiants, qui a conduit Rama à remanier la moitié de son gouvernement.

Les violences de samedi ont été condamnées par les ambassades de l’Union européenne et des États-Unis à Tirana. Du côté de l’opposition, on rejette la responsabilité sur Rama en évoquant des «incitations à la violence». Dans une allocution à la télé dimanche, le chef du PD a de nouveau demandé un «gouvernement de transition» et a appelé les élus de l’opposition à «brûler leurs mandats parlementaires» alors qu’une nouvelle journée de protestation est prévue jeudi.

Ironique, Rama a, quant à lui, réagi sur Twitter : «Quelle tristesse de voir le reflet de la monstruosité d’hier [samedi, ndlr] dans les médias du monde ! La politique aveugle d’une opposition sans vision, sans chef n’a pas atteint le gouvernement mais a nui à l’image de l’Albanie et a donné des arguments à ceux qui cherchent des prétextes contre les négociations avec l’UE.» Officiellement candidate à l’UE depuis 2014, l’Albanie pourrait ouvrir les négociations d’adhésion en juin. Sous réserve de progrès dans la lutte contre la corruption et le crime organisé.

L’article original ici.

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