
Courrier des Balkans – 13.05.20 – Article
Aussi appelé daouli en grec, tupan en bulgare ou Iodra dans les régions albanaises, le davul est un tambour traditionnel, largement répandu des Balkans au monde perse. Artiste touche à tout, amateur d’expérimentations sonores, le stambouliote Cevdet Erek ne finit pas d’en explorer les possibilités. Rencontre à Berlin à l’occasion de l’aventureux festival Club Transmediale.
Le Courrier des Balkans (C.d.B.) : J’ai lu que vous aviez été initié au davul par un musicien rom. Est-ce que vous pourriez en dire plus sur votre rencontre avec ce tambour, instrument incontournable de la musique traditionnelle des Balkans et du Moyen-Orient ?
Cevdet Erek (C.E.) : En fait, je n’ai pas exactement été initié au davul par un musicien rom, c’est simplement par lui que j’ai obtenu l’instrument. J’ai toujours eu l’habitude d’écouter beaucoup de musiques où le davul était présent – toutes les musiques traditionnelles d’Anatolie et des Balkans mais aussi de l’Anadolo Pop des années 1970, avec des groupes comme Moğollar, etc. Le véritable déclic avec le davul a eu lieu lorsque j’ai commencé à jouer des percussions avec l’accordéoniste et compositeur Muammer Ketencoğlu, notamment sur l’album Ayde Mori. Le groupe jouait des musiques de tous les Balkans et mélangeait la plupart des langues de la région. J’y jouais surtout la darbuka et le bendir, mais pour certaines chansons le davul était nécessaire. C’est à cette occasion que Muammer Abi m’a fait rencontrer ce musicien rom et c’est lui qui m’a donné ce tambour, le seul et unique tambour avec lequel j’ai joué lors des enregistrements et des concerts qui ont suivi. C’était en 1999 ou 2000 et c’est toujours avec le même tambour que je joue aujourd’hui, je n’ai même jamais changé la peau.
C.d.B. : Le davul est un instrument utilisé lors des cérémonies et des danses traditionnelles. Quelles images et représentations vous faisiez-vous de l’instrument avant d’en jouer vous même ?
C.E. : J’étais toujours très intrigué par cet instrument, surtout parce que c’est un tambour mobile : vous pouvez marcher et escalader des montagnes tout en le jouant ! En Turquie, il est aussi utilisé pour réveiller les gens tôt le matin pendant le ramadan. Il a ainsi un rôle très intéressant, qui n’est pas simplement musical, plutôt celui de donner le signal ou d’annoncer un évènement : une sorte d’ancêtre de nos radio-réveils… Cette tradition perdure de nos jours. https://www.youtube.com/embed/GeCPSKbEV60
C.d.B. : Vous avez développé une technique particulière, très personnelle de jouer le davul. Comment décririez-vous votre façon de jouer ?
C.E. : Je ne dirais pas que ma façon de jouer le davul se définit par une technique mais peut-être plutôt par une écoute et une esthétique particulières. C’est vrai que j’utilise des baguettes différentes mais ma façon de jouer reste basée sur les façons courantes d’utiliser cet instrument. Bien sûr, mes expériences passées, mes écoutes et ma pratique de styles de musique très variés – du noise aux formes contemporaines de musiques folkloriques – influent sur mon travail de l’instrument.
C.d.B. : Avez-vous eu des retours et des réactions de la part de joueurs traditionnel de davul ?
C.E. : Directement pas tellement, parce que j’ai beaucoup voyagé ces derniers temps et que j’ai passé le reste du temps dans mon environnement quotidien à Istanbul. En plus, je ne connais que peu de percussionnistes traditionnels.
C.d.B. : Vous avez enregistré votre album Davul à Berlin. Pourquoi pas à Istanbul ?
C.E. : Après avoir enregistré le single Frenzy avec le label berlinois Subtext records, nous avons décidé de faire un album. Au début, nous pensions qu’il s’inscrirait dans la continuité du single : des éléments électro-acoustiques et rythmiques. Mais, après avoir passé plus de temps à jouer le davul, j’étais à peu près certain de vouloir m’atteler à un album solo, le résultat de plusieurs années d’imagination et d’expérimentations. J’ai eu la chance que James de Subtext, mais aussi le super duo électronique Emptyset aient supporté cette idée et m’aient invité dans les studios de Berlin. À ce moment là, j’étais en route pour la biennale de Venise, pour préparer mon installation pour le pavillon de la Turquie. J’ai simplement mis mon tambour sur mon dos et me suis envolé de Venise à Berlin pour enregistrer cet album.
C.d.B. : Votre musique est très captivante, hypnotique. Comme cela a été le cas lors de votre concert à Berlin, elle fait entrer dans un état de transe. Est-ce une sorte de thérapie pour vous ? Portez-vous un intérêt particulier aux rituels chamaniques ?
C.E. : Oui, c’est en quelque sorte une thérapie pour moi mais aussi pour certaines personnes dans le public, d’après ce qu’on m’a rapporté. Bien que ma musique soit surtout répétitive et continue, je ne cherche pas à atteindre cet état de transe puisque j’introduis régulièrement des coupures et intermèdes pour être sûr que nous sommes bien « là ». En tant que percussionniste qui joue pour ou avec des gens, bien sûr les rituels chamaniques m’intéressent, mais de loin. Je ne suis pas un expert sur le sujet. Cela tient plutôt d’un sentiment, d’un ressenti très fort. https://www.youtube.com/embed/j1L7Y6-VbIk
C.d.B. : Quelle place pour l’improvisation dans votre jeu ?
C.E. : Qu’il soit court ou dure toute la nuit, je ne répète jamais avant un concert, simplement un petit échauffement ou une balance. C’est l’improvisation totale. Mais il y a certaines choses sur lesquelles je travaille depuis l’album, donc les thèmes fondamentaux reviennent lors de la plupart de mes performances. Dans le même temps, de nouveaux motifs et idées apparaissent à chaque fois. Dernièrement, j’ai beaucoup expérimenté sur scène, en jouant avec les microphones et le système de sonorisation mais, également avec le lieu où se déroule le concert. Celui-ci influe sur mon jeu.
C.d.B. : En tant qu’ancien batteur du groupe de rock expérimental Nekropsi, vous avez développé un goût certain pour l’expérimentation. Quels liens faites-vous avec votre travail d’aujourd’hui autour du davul ?
C.E. : Un groupe, qui est généralement composé et totalement collaboratif, est différent d’une personne seule avec un tambour qui improvise. Mais, à la fin, on en vient toujours à organiser le temps via le son, par le moyen d’un enregistrement ou au sein d’un certain espace à destination d’un public. C’est donc en quelque sorte la même chose. Imaginer, construire et faire circuler.
C.d.B. : Avez-vous joué Davul en dehors de Turquie ? Dans les Balkans ?
C.E. : J’ai joué à Athènes fin mars et il y a de bonnes chances que cela se poursuive ailleurs.
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